Famille, personnes et successions
L’affaire Lola c. Éric, ou l’obligation alimentaire entre conjoints de fait
Rappelons brièvement les faits.
Lola et Éric, un prospère homme d’affaires, ont vécu ensemble pendant une période d’environ sept ans et de leur union sont nés trois enfants. Madame n’a pas travaillé pendant la vie commune. Séparés depuis 2006, les parties se partagent la garde de leurs enfants et Madame reçoit une pension alimentaire pour les besoins des enfants de 34 260,24 $ par mois. Monsieur doit également payer des frais particuliers pour les enfants (résidence, voyages, gouvernante, chauffeur, etc.) en plus d’assumer les frais afférents à une luxueuse résidence lui appartenant, mais dont Madame a l’usage.
Lola demande au Tribunal de lui accorder une pension alimentaire pour elle-même de 56 000 $ par mois et un montant de 50 millions à titre de partage du patrimoine familial.
En première instance, la juge a donné raison à Éric et a rejeté les demandes de Lola. Elle a jugé que la Loi n’est pas discriminatoire envers les conjoints de fait et que cela respecte la liberté de choix de se marier ou non. La Cour d’appel, quant à elle, dans un jugement fort détaillé, renverse une partie de la décision soit celle portant sur l’obligation alimentaire entre conjoints de fait.
Par ailleurs, la Cour d’appel maintient le jugement de première instance quant au partage des biens.
Le plus haut tribunal du Québec a jugé que l’article 585 du Code civil du Québec était discriminatoire à l’égard des conjoints de fait puisqu’il prévoit un recours alimentaire uniquement au bénéfice des époux et des conjoints unis civilement. La Cour d’appel suspend cependant la déclaration d’invalidité constitutionnelle pour une durée de 12 mois.
La Cour d’appel base notamment sa décision sur le fait que d’empêcher les conjoints de fait de pouvoir réclamer des aliments à un ex-conjoint est une négation d’un droit fondamental (celui de subvenir à ses besoins de base après une rupture) et que cette situation a des conséquences importantes sur les enfants issus de ces unions.
Au Québec, 35 % des couples vivent en union de fait, soit 1,2 million de personnes, comparativement à 18,4 % en moyenne pour le reste du Canada.
Paradoxalement, le Québec est la seule province canadienne où le statut de conjoint de fait n’est pas reconnu par la Loi. En effet, les autres provinces canadiennes reconnaissent qu’après une période plus ou moins longue de cohabitation (entre 1 et 5 ans selon les provinces), les conjoints de fait bénéficient de certains droits accordés aux gens mariés dont notamment le droit de demander des aliments.
À la liberté contractuelle et le libre choix s’opposent la reconnaissance d’une réalité sociale de plus en plus importante (les conjoints de fait) et la protection de la cellule familiale qu’ils forment avec leurs enfants.
Mais qu’arrive-t-il du libre choix lorsqu’un des conjoints ne veut pas se marier? Y a-t-il alors véritablement une liberté de choix pour l’autre conjoint?
Qu’en est-il de l’égalité des enfants devant la Loi ? Un enfant dont les parents sont mariés est assuré de voir son niveau de vie maintenu après une séparation alors que celui dont les parents vivent en union de fait en subira les contrecoups.
La décision de la Cour d’appel a une incidence majeure sur les droits des conjoints de fait en matière d’obligation alimentaire, mais il faudra attendre la décision de la Cour suprême du Canada pour connaître le mot de la fin.
En attendant, retenons qu’il est toujours impossible à l’heure actuelle pour un conjoint de fait de réclamer une pension alimentaire pour lui-même à son ex-conjoint.
Le droit est en constante évolution et doit s’adapter aux nouvelles réalités sociales et la saga de l’affaire Lola c. Éric en est une preuve bien réelle.