Administratif
Directive ministérielle 06-01: La Cour d’appel renverse la décision de la Cour supérieure
À la suite de cette décision, le gouvernement du Québec avait adopté d’urgence une loi statuant sur les modalités de compensation.
Pour une remise en contexte nous vous invitons à relire les billets du 3 avril 2012 et 12 juillet 2012.
Le 18 octobre 2013, dans un jugement partagé, la Cour d’appel du Québec1 a infirmé deux jugements de la Cour supérieure du Québec. D’une part, la Cour d’appel a infirmé le jugement de la Cour supérieure du Québec rendu le 12 mars 2012, qui avait déclaré invalide la directive 06-01 MDDEP. D’autre part, la Cour d’appel a infirmé le jugement de la Cour supérieure du 10 septembre 2012 portant sur une deuxième requête en nullité et en mandamus.
L’appel du jugement du 12 mars 2012
Dans cette portion de sa décision, la majorité à la Cour d’appel souligne que seul le volet « compensation » de la directive avait fait l’objet d’une demande de nullité et que le premier juge a rendu un jugement ultra petita (au-delà des conclusions demandées) en déclarant invalide l’ensemble de la directive qui contient également un volet « Éviter » et un volet « Minimiser ». La Cour d’appel indique que ces volets font partie du pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu du deuxième alinéa de l'article 22 de la Loi sur la qualité de l'environnement, ce qui lui accorde une plus grande latitude dans ses décisions. Ces volets visent la prise de mesures permettant d’atténuer les impacts du projet du promoteur sur le milieu humide affecté.
La Cour d’appel souligne que la question de l’invalidité du volet « compensation » n’a plus d’objet en raison de l’adoption de la Loi concernant des mesures de compensation pour la réalisation de projets affectant un milieu humide ou hydrique (ci-après la « Loi ») sanctionnée le 23 mai 20122 et qu’en conséquence, l’appel vise, d’une part, à déterminer si le MDDEP a exercé légalement son pouvoir discrétionnaire et, d’autre part, qui, de la Cour supérieure ou du Tribunal administratif du Québec (le « TAQ ») est compétent pour réviser la décision du MDDEP de refuser à l’intimée le certificat d’autorisation demandé.
a) La validité de la directive
Le volet « compensation » ayant été éliminé de la directive par l’adoption de la Loi, la Cour d’appel analyse la légalité de l’exercice du pouvoir discrétionnaire uniquement dans le cadre des deux autres volets (« Éviter » et « Minimiser »). La Cour précise que le pouvoir du ministre de délivrer un certificat d'autorisation est un pouvoir discrétionnaire qui doit être interprété largement et que l’usage d’un guide contenant des directives publiques non contraignantes3 ne constitue donc pas un exercice illégal de discrétion.
La Cour d’appel en vient à la conclusion que le MDDEP a exercé légalement sa discrétion à l’égard des deux autres volets quant à la demande présentée par l’intimée.
Le juge Bouchard, au nom de la majorité, considère que non seulement la directive est conforme au pouvoir discrétionnaire accordé au ministre en vertu du deuxième alinéa de l'article 22 de la Loi sur la qualité de l'environnement, mais qu’elle est inhérente à sa discrétion dans le sens où les volets « Éviter » et « Minimiser » peuvent faire partie des éléments étudiés et des conditions exigées pour l’émission d’un certificat, dans un cas donné, même sans tenir compte de la directive.
La Cour d’appel considère donc qu’il n’est pas illégal pour le ministre d'exiger d'un promoteur qu'il justifie l'impossibilité de réaliser son projet ailleurs que dans un milieu humide et qu'il prenne des mesures pour minimiser les impacts environnementaux si son projet ne peut être réalisé ailleurs que sur des terres à protéger.
Le tribunal compétent
Par ailleurs, la Cour d’appel souligne qu’en vertu des articles 96 de la Loi sur la qualité de l’environnement, 14 et 34 de la Loi sur la justice administrative (ci-après « L.j.a. ») et de l’annexe III de la L.j.a., le législateur a accordé au TAQ et non la Cour supérieure, la compétence pour réviser une décision du ministre de refuser l’émission d’un certificat d’autorisation.
L’appel du jugement du 10 septembre 2012
Le deuxième appel dans ce dossier vise un second jugement rendu par la Cour supérieure le 10 septembre 2012, où le procureur général soulevait par un moyen déclinatoire l’incompétence de la Cour supérieure du Québec à se prononcer sur le refus de délivrer le certificat d’autorisation.
La Cour supérieure avait alors considéré qu’elle était compétente pour entendre la requête en mandamus en raison du non-respect des ordonnances rendues dans le jugement du 12 mars 2012 par la Cour supérieure4. Ce jugement était à l’effet d’ordonner aux préposés du ministre de se saisir immédiatement de la demande présentée le 8 janvier 2008 eu égard aux normes de ladite loi et des autres lois et règlements applicables sans considérer les mesures de compensation et d’ordonner au ministre de compléter cette étude et d'émettre, s'il y a lieu, le certificat d'autorisation dans un délai de quatre mois de la date du présent jugement.
À la lecture de ces deux ordonnances, on constate que le ministre conservait encore la discrétion d’émettre le certificat d’autorisation, s’il le considérait justifié. Or, le mandamus est le recours approprié lorsque la loi a conféré un pouvoir lié, donc sans volet discrétionnaire, et que la personne visée refuse d'exercer un devoir ou d'accomplir un acte que la loi lui impose en termes exprès de faire.
Il est à noter également que la juge en chef de la Cour d’appel est dissidente dans cette affaire. La juge en chef indique à l’égard du premier jugement frappé d’appel, qu’il n’appartient pas aux tribunaux de venir « légaliser » une politique ministérielle non contraignante et que « si le ministre veut en faire un règlement, qu’il le fasse selon les règles». Quant au second jugement frappé d’appel, la juge en chef trouve étonnant qu’il appartienne au TAQ de contrôler le respect d’une ordonnance de la Cour supérieure. Vue sous cet angle, l’intervention de la juge de la Cour supérieure visait à sanctionner un refus d’obtempérer à une ordonnance de la Cour supérieure et non pas à refuser d’émettre un certificat d’autorisation.
Le 22 octobre 2013, le représentant des Atocas de l’érable a indiqué par le biais des médias qu’il entendait porter la cause devant la Cour suprême du Canada.
C’est donc une affaire à suivre notamment à l’égard de l’autorisation par la Cour suprême du Canada d’un pourvoi5 dans cette affaire, et, le cas échéant, sur la manière dont le plus haut tribunal du pays va, en droit administratif, considérer, d’une part, la nature de la directive ministérielle et l’étendue des pouvoirs du ministre dans un tel contexte et, d’autre part, comment la Cour va dénouer les différentes visions mises en relief dans cette affaire relativement à l’appel du second jugement.
1 Québec (Procureur Général) c. Atocas de l’érable inc., 2013 QCCA 1794 (CanLII), 200-09-007692-129, 200-09-007852-129; (EYB 2013-228029); (2013 QCCA 1794).
2 Cette Loi valide rétroactivement toute mesure de compensation qui a été prévue pour la délivrance d'un certificat d'autorisation avant le 12 mars 2012. De plus, l’article 5 de cette Loi indique que son article 2 cesse de produire ses effets le 24 avril 2015 sauf si, à cette date, une loi prévoyant des règles concernant la conservation et la gestion durable des milieux humides et hydriques et proposant l’abrogation de cet article a été sanctionnée. Dans ce dernier cas, l’article 2 cesse de produire ses effets à la date de la sanction de cette nouvelle loi.
3 Il a été reconnu que la Politique de protection des sols et de réhabilitation des terrains contaminés avait été conçue essentiellement pour servir de guide pour la décontamination des terrains et que les critères proposés n'avaient qu'une valeur indicative, sans force juridique contraignante pour le propriétaire. C’est d’ailleurs pour cette raison que le législateur a modifié la Loi et adopté le Règlement sur la protection et la réhabilitation des terrains.
4 Atocas de l'érable inc. c. Québec (Procureur général) (Ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs), 2012 QCCS 912.
5 En date du 27 novembre 2013, aucune inscription en appel ne figurait encore dans la section
« Renseignements sur les dossiers de la Cour » accessible par Internet.