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Avocats

Les conséquences d’une violation aux lois fiscales en vigueur lors de l’achat d’un restaurant

  • Guillaume Lapierre
Par Guillaume Lapierre Associé
Commentaire sur la décision 9268-4042 Québec inc. c. 9301-0163 Québec inc.

À titre de gardien de l’intérêt général, les tribunaux québécois ont l’obligation de soulever, même d’office, la nullité absolue d’un contrat fondé sur une cause illicite et contraire à l’ordre public. En effet, la jurisprudence où les tribunaux ont déclaré d’office la nullité d’un contrat pour ces raisons est somme toute abondante.

La décision 9268-4042 Québec inc. c. 9301-0163 Québec inc.1 représente un cas d’application de ce principe dont les faits sont similaires à la jurisprudence en cette matière. De fait, il s’agit d’une histoire où les propriétaires d’un restaurant ont exploité cette entreprise comme une entreprise au comptant (« cash business »), c’est-à-dire une entreprise dont les transactions habituelles sont payées en espèces par les clients, permettant ainsi à ses propriétaires de ne pas comptabiliser tous les revenus de l’entreprise et, conséquemment, de ne pas déclarer tous les revenus d’entreprise aux autorités fiscales. Ils ont tout de même décidé de vendre leur restaurant en raison de certaines difficultés financières à des acheteurs, lesquels allèguent avoir reçu de fausses représentations de la part des propriétaires relativement au volume des ventes et des bénéfices générés par le restaurant. Le tribunal déclare ainsi nul de nullité absolue le contrat de vente intervenu entre les parties en raison de sa cause illicite et contraire à l’ordre public, à savoir la violation des lois fiscales.

La demanderesse, 9268-4042 Québec inc., réclame le solde du prix de vente de 146 699,94 $ aux défendeurs, 9301-0163 Québec inc., Chao Wang et Li Jian Wang (collectivement, les défendeurs), lesquels réclament dans leur demande reconventionnelle un montant de 632 671,01 $.

I– LES PARTIES AUX PROCÉDURES

  1. La demanderesse est une société par actions oeuvrant dans le domaine de la restauration, dont les actionnaires étaient Den Feng Li et Jianhua Li.
  2. Les défendeurs sont une société par actions oeuvrant également dans le domaine de la restauration et ses propriétaires, Chao Wang et Li Jian Wang, qui sont également garants personnellement du contrat intervenu en l’espèce;
  3. Les mises en cause, Den Feng Li et Jianhua Li, étaient administrateurs de la demanderesse.

II– LES FAITS

En 2012, la demanderesse fait l’acquisition d’un restaurant situé à Montréal, connu sous le nom de « Restaurant YOY Café et Sushi Bar ».

En 2013, la demanderesse donne des instructions à un agent afin de publier dans un journal un avis de vente du restaurant en indiquant la performance commerciale du restaurant ainsi que son volume de ventes de 1 600 000 $ par an et des bénéfices nets de 300 000 $. Toutefois, les états financiers de la demanderesse prévoient plutôt des bénéfices nets de 36 357 $.

En 2014, M. Wang signe une offre d’achat pour le restaurant pour une somme de 650 000 $ prévue à titre de prix de vente, laquelle a été acceptée par M. Li, agissant au nom de la demanderesse. À la signature du contrat de vente, les défendeurs étaient au courant de la contradiction entre l’avis de vente publié et les états financiers fournis aux défendeurs relativement aux bénéfices nets.

Toutefois, à la suite de la prise de possession du restaurant, les défendeurs constatent que les représentations de la demanderesse au moment de la vente étaient fausses. Les propriétaires antérieurs du restaurant avaient ainsi déjà fait faillite et le volume des ventes et des bénéfices nets n’était pas fidèlement représenté dans l’avis de vente. De ce fait, avec plusieurs factures impayées et une rentabilité médiocre du restaurant, les défendeurs se voient rapidement dans l’impossibilité de continuer à payer le solde du prix de vente dû à la demanderesse, soit la somme de 146 699,94 $.

À la fin de 2014, la demanderesse s’adresse aux défendeurs afin de recouvrer la somme due sur le prix de vente. Quelques mois plus tard, les défendeurs répondent en offrant à la demanderesse de reprendre possession du restaurant ou de leur rembourser la somme de 400 000 $ sous prétexte qu’ils ont trop payé pour l’achat du restaurant et qu’ils l’ont acquis sur la foi de fausses représentations.

Face à cette impasse, la demanderesse intente un recours contre les défendeurs afin de recouvrer le solde de prix de vente. Les défendeurs, dans une demande reconventionnelle, réclament, quant à eux, une somme 632 671,01 $, soit 531 831,69 $ à titre de remboursement de la somme payée pour le restaurant, 91 360 $ pour les pertes financières engagées et une indemnité de 30 000 $ pour l’annulation du bail.

III– LA DÉCISION

Dans l’analyse de la présente affaire, la Cour supérieure se penche sur le vice de consentement, le processus de diligence raisonnable des acheteurs, les dommages subis et la cause illicite et contraire à l’ordre public de la vente.

A. Les fausses représentations et la nature du consentement

En droit des contrats, l’une des conditions essentielles à la formation d’un contrat est l’échange de consentements libres et éclairés. De fait, de fausses représentations au moment de la conclusion d’une vente est un facteur pouvant annihiler la formation du contrat et ainsi provoquer sa caducité.

Le tribunal, en réaffirmant ce principe fondamental de l’échange de consentements, a cependant conclu à l’absence de fausses représentations par la demanderesse. Au moment de la vente du restaurant, il y avait une contradiction frappante à propos du volume des ventes et des bénéfices nets entre les représentations orales de la demanderesse et la documentation fournie aux défendeurs. En effet, la documentation reflétait davantage la réelle performance commerciale du restaurant comparativement aux représentations orales. Toutefois, la documentation, selon les représentations orales de la demanderesse, était inexacte en raison des transactions au comptant n’apparaissant pas sur celle-ci. Les défendeurs, en privilégiant les représentations orales à la documentation, ont ainsi fait un choix fatal. Par conséquent, en l’absence d’une preuve pouvant démontrer, selon la balance des probabilités, qu’il y avait de fausses représentations, tant sur le plan de la performance commerciale du restaurant que sur celui de la nature au comptant de l’entreprise, et en présence de versions contradictoires et peu crédibles, le tribunal rejette l’argument des défendeurs relativement aux fausses représentations de la demanderesse au moment de la vente. 

B. La diligence raisonnable de l’acheteur

La diligence raisonnable impose à un acheteur l’obligation de vérifier et de se renseigner sur les différents faits suggérés par un vendeur, et ce, d’autant plus lorsqu’un acheteur a accès à des documents facilitant ainsi sa vérification.

Le tribunal, en reconnaissant que M. Wang, un des défendeurs, était un homme d’affaires aguerri, a conclu que les défendeurs n’étaient pas des acheteurs prudents et diligents. En effet, M. Wang avait expressément demandé, préalablement à l’achat du restaurant, d’avoir accès aux états financiers et aux autres documents de même nature. Or, il a décidé d’ignorer volontairement cette documentation pour se fier uniquement aux représentations orales de la demanderesse. Ainsi, les défendeurs savaient parfaitement que les représentations de la demanderesse n'étaient pas soutenues par des écrits, notamment des états financiers concordants. De fait, le tribunal croit à une négligence des défendeurs, lesquels étaient conscients de la nature des activités du restaurant et de sa rentabilité. De plus, cette erreur, si tant est qu’il y avait de fausses représentations, serait une erreur inexcusable au sens de l’article 1400 C.c.Q. n’annihilant pas le consentement des défendeurs.

La juge Carole Julien mentionnera à ce sujet que l’erreur inexcusable doit s’évaluer in concreto considérant que :

[…] Wang was a wise businessman with knowledge of how to evaluate the risk taken and well aware of the difficulty of exercising his due diligence process in the context of a cash business.  He had the burden of proof to explain how this error in the appreciation of the risk was an excusable error.  In this he failed.

Wang and Mrs. Wang were not normally prudent and diligent during the sale process and if they were, as the Court concludes, they simply took a business knowing perfectly they were buying YOY solely on the only basis of Li’s representations instead of as a result of a normal due diligence process based on proper documentation.2

C. Les dommages

La détermination des dommages dans la présente affaire se révèle difficile en raison de l’impossibilité de tracer un portrait véridique de la rentabilité du restaurant et de la fluctuation, entre les mains respectives des parties, de cette rentabilité.

Le tribunal, tout en reconnaissant la déception et les coûts engagés par les défendeurs à la suite de l’achat du restaurant, a conclu qu’il y avait une absence de preuve permettant de rattacher la piètre performance commerciale du restaurant aux fausses déclarations de la demanderesse. En effet, la cause véritable des dommages est une question irrésolue puisqu’ils pourraient être la conséquence des fausses déclarations, d’un manque de diligence raisonnable des défendeurs ou d’une acceptation d’un risque financier conscient, et ce, considérant la nature au comptant de l’entreprise. De fait, en l’absence d’une preuve convaincante, il ne peut y avoir de dédommagement.

D. L’entreprise au comptant et sa cause illicite

La conséquence d’avoir un contrat ayant une cause illicite et contraire à l’ordre public est sévère, à savoir la déclaration de nullité absolue de celui-ci.

Le tribunal, en analysant la jurisprudence similaire, a déclaré le contrat nul de nullité absolue et a exercé sa discrétion relativement à la restitution des prestations. Tout d’abord, il y a plusieurs décisions qui consacrent la perte du droit de l’acheteur de s’adresser aux tribunaux lorsque l’achat visait à violer les lois fiscales3. Dans les faits, le prix de vente du restaurant, mutuellement accepté par les parties, était artificiellement gonflé afin de tenir compte de la nature au comptant de cette entreprise et de la possibilité d’exploiter celle-ci en dehors du régime fiscal d’ordre public et d’intérêt général. Le contrat est donc basé sur une cause illicite et contraire à l’ordre public et les réclamations des parties fondées sur ce contrat, étant d’une part la récupération du prix de vente par la demanderesse et, d’autre part, le refus de payer le prix de vente en raison de la non-réalisation des revenus anticipés par les défendeurs, ont été rejetées.

Ainsi, les défendeurs n’ont pas droit à des dommages-intérêts pour les bénéfices non réalisés, ces bénéfices résultant d’une tentative d’évasion fiscale contraire à l’ordre public. De plus, il y a plusieurs décisions autorisant ou refusant la restitution des prestations par suite de la nullité absolue d’un contrat4. Le tribunal, en exerçant son pouvoir discrétionnaire, a décidé d’établir un équilibre entre les parties tout en affirmant que les défendeurs ne peuvent demander l’aide du tribunal pour corriger les conséquences d’un accord fondé sur une cause illégale. Ainsi, le contrat de vente est annulé, la restitution des prestations est refusée et les parties conservent ce qu’elles ont reçu.

Conclusion du tribunal

Le Tribunal déclare nul de nullité absolue le contrat de vente entre les parties en raison de sa cause illicite et contraire à l’ordre public et rejette la demande reconventionnelle des défendeurs.

IV– LE COMMENTAIRE DE L’AUTEUR

La décision commentée vient réaffirmer la position jurisprudentielle à l’égard d’une entente illicite et qui va à l’encontre de l’ordre public, soit l’intolérance.

Dans cette affaire, la nature au comptant des paiements faits à l’entreprise a mené à l’exploitation d’un restaurant en dehors du régime fiscal d’ordre public et d’intérêt général. La participation des parties à ce type d’entente est indéniablement venue limiter le pouvoir ainsi que la volonté du tribunal de porter secours à une partie qui, après avoir vécu une déception, décide de s’adresser aux tribunaux. Le respect des lois fiscales demeure donc d’une grande importance dans notre société et la violation de ces lois entraîne des conséquences juridiques importantes, à savoir l’intolérance des tribunaux, illustrée par un refus de porter secours à une partie qui s’est volontairement placée dans cette situation de regret et de déception. La position jurisprudentielle relativement à ce type d’entente illicite et contraire à l’ordre public vise donc à conscientiser la société et à éviter de rendre implicitement les tribunaux complices de ce type de pratique.

Cette décision démontre également l’importance de bien documenter le processus de vérification diligente menant à la conclusion d’une transaction. En effet, lorsqu’un vendeur émet des représentations verbales dans le cadre du processus de vérification diligente, il est important de mettre sur papier celles-ci, afin d’en conserver la preuve.

CONCLUSION

À la lumière de cette décision, il est important de retenir qu’une entente illicite et en violation de l’ordre public est lourdement sanctionnée par les tribunaux québécois. Cette décision nous réitère donc l’importance de respecter les lois fiscales, tant pour les personnes physiques que les personnes morales, pour éviter d’une part, de commettre un geste illégal et, d’autre part, de se voir refuser, d'une certaine façon, l’aide des tribunaux.


 

1EYB 2018-295789 (C.S.).

2Par. 70 et 71 de la décision commentée.

3Voir à titre d’exemple les décisions Peter c. Fiasche, J.E. 2001-101 (C.S.), Allard c. Socomar International (1995) inc., J.E. 2001-588 (C.S.), Construction C. & J. Dugas inc. c. Charlebois, J.E. 95-1891 (C.S.) et 9078-0107 Québec inc. c. Bouchard, 2012 QCCS 4040.

4Voir notamment les décisions Peter c. Fiasche, J.E. 2001-101 (C.S.), El Roi, l.l.c. c. Pousoulidis, 2006 QCCS 5093 et Allard c. Socomar International (1995) inc., J.E. 2001-588 (C.S.).


 

Guillaume LAPIERRE et Sébastien DIONNE, « Commentaire sur la décision 9268-4042 Québec inc. c. 9301-0163 Québec inc. – Les conséquences d'une violation aux lois fiscales en vigueur lors de l'achat d'un restaurant », dans Repères, novembre 2018, La référence Yvon Blais, EYB2018REP2597.

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