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Immobilier et construction

Commentaire sur la décision 9004-2243 Québec inc. c. Centre sportif St-Eustache inc.

  • Guillaume Lapierre
Par Guillaume Lapierre Associé
Importante sanction d'abus de droit en matière de bail commercial.

Les poursuites en dommages-intérêts pour abus de droit déposées à l'encontre de sociétés par actions sont sommes toutes courantes au Québec. En effet, quelques décisions en la matière où des administrateurs, des dirigeants ou encore des actionnaires d'une société par actions utilisent des manoeuvres commerciales douteuses sont introduites chaque année devant les tribunaux québécois.

C'est le cas de la décision 9004-2243 Québec inc. c. Centre sportif St-Eustache inc.1 dans  laquelle les faits sont, selon le  tribunal, similaires à un mauvais film. S'étirant sur plus de 20 ans, il s'agit d'une histoire où les propriétaires d'un restaurant familial ont eu des difficultés avec leur locateur qui souhaitait résilier leur bail  et qui a  eu recours à plusieurs  manoeuvres, notamment  des menaces, des recours judiciaires abusifs et le déclenchement d'un incendie, le tout afin de les forcer à partir. Le tribunal a accordé à la société demanderesse des sommes élevées à titre de compensation pour troubles et inconvénients ainsi que des dommages punitifs et exemplaires.

La demanderesse, 9004-2243 Québec inc. (« demanderesse »), réclame dans cette affaire 933 684,53 $ aux défendeurs Centre Sportif St-Eustache inc. et Jean-Guy Mathers (« défendeurs »).

I– LES PARTIES AUX PROCÉDURES

  1. La demanderesse est une société par actions, propriété des frères Michel, Alain et Simon Farsa, servant à l'exploitation d'un restaurant dans un local loué du Centre sportif St-Eustache inc. (« Centre sportif »).
  2. Le défendeur Jean-Guy Mathers est le principal dirigeant de la défenderesse Centre sportif St-Eustache inc.

II– LES FAITS

En 1994, la demanderesse loue un local dans le Centre sportif afin d'y exploiter un restaurant, connu sous le nom « Casa Farsa ».

Les frères Farsa travaillent dans le domaine de la restauration depuis 1989. En 1994, par le biais de la demanderesse, ils louent un local dans le Centre  sportif par un bail d'une durée de cinq ans, assortis de deux options de renouvellement, soit une possibilité de location jusqu'au 30 avril 2009. Le bail, auquel est partie Mathers par le biais d'une autre de ses sociétés, créancière hypothécaire du Centre sportif, comporte l'obligation pour la demanderesse d'investir 100 000 $ en réparations et aménagements. La demanderesse installera notamment un four à bois, en plus d'autres aménagements et réparations.

Les affaires vont bien jusqu'au moment où, en 1998, le Groupe Mathers obtient le contrôle des actions votantes du Centre sportif. Le Groupe Mathers souhaite y exploiter son propre resto-bar, dans le local loué à la demanderesse.

En effet, en novembre 1998, après avoir repris le contrôle du Centre sportif, le Groupe Mathers envoie un avis de non-renouvellement de bail commercial à la demanderesse. Cette dernière argue que selon les termes du bail, l'option de renouvellement appartient au locataire et non au locateur. Mathers commence dès lors à proférer des menaces à l'encontre des représentants de la demanderesse.

Les manoeuvres des défendeurs commencent dès le début des années 1999. Ils allèguent que la demanderesse manque à ses obligations en vertu du bail, en ayant notamment installé une rampe d'accès aux personnes à mobilité réduite. Les défendeurs bloquent l'accès au restaurant avec leurs camions. Ils transmettent des mises en demeure à la demanderesse en alléguant que les lieux loués sont malpropres et délabrés. De novembre 1998 à avril 1999, le tribunal est d'avis que les agissements des défendeurs ont frisé la criminalité puisqu'ils ont usé d'intimidation et de menaces à l'égard des représentants de la demanderesse.

Le 6 juillet 1999, l'édifice des défendeurs est détruit par un incendie d'origine criminelle. Les services de police locaux n'ont jamais pu identifier les auteurs, qui sont d'abord entrés par l'intérieur du Centre sportif afin de tenter de mettre le feu au restaurant, sans succès. Leur seconde tentative, par l'extérieur, réussit à incendier l'édifice. Le restaurant de la demanderesse a subi d'importants dégâts qui forceront sa fermeture le temps que des travaux de réparation y soient effectués.

Parallèlement à ces menaces et manoeuvres, les défendeurs ont eu recours à de multiples demandes en justice afin de tenter de contraindre la demanderesse à quitter le local. Au total, les défendeurs intenteront huit recours à l'encontre de la demanderesse entre 1999 et 2000, cherchant à expulser cette dernière ou encore à faire annuler le bail. Trois de ces requêtes seront entendues par le juge Durand en janvier 2000 et rejetées séance tenante, dans un jugement statuant que le bail avait bien été renouvelé jusqu'au 30 avril 2004.

Les défendeurs ont, de plus, fait cadenasser les portes du restaurant en juillet 1999 après l'incendie, forçant la demanderesse à  obtenir une injonction pour pouvoir accéder à son local. Malgré cette ordonnance, les défendeurs ont procédé à la démolition des améliorations effectuées par la demanderesse dans le local, laquelle ne réussira à revenir dans les lieux loués qu'en février 2000. Les défendeurs ont réussi à ce moment à faire changer les serrures, forçant la locataire à obtenir une nouvelle injonction, avant de se rendre compte que le chauffage et l'électricité avaient été coupés. À l'été 2000, les manoeuvres des défendeurs se poursuivent : l'entrée du restaurant est bloquée par des blocs de ciment, notamment.

La demanderesse a fini par s'en aller en 2001, pour ouvrir un nouveau restaurant à Sainte-Marthe-sur-le-Lac. Ce nouveau restaurant sera aussi la proie d'un incendie criminel en 2003.

III– LA DÉCISION

La demanderesse désire être indemnisée pour les dommages que lui ont causés les défendeurs. Elle réclame 933 684,53 $, répartis comme suit : 683 684,53 $ en pertes matérielles et 250 000 $ en dommages exemplaires.

De leur côté, les défendeurs recherchent toujours la résiliation du bail, alléguant que la demanderesse est en défaut, et contestent l'ensemble des dommages réclamés, ainsi que toute forme de responsabilité à l'égard de l'incendie du 6 juillet 1999. Ils ont institué une action distincte et s'en sont finalement désistés.

Le tribunal se penche d'abord sur la responsabilité des défendeurs, avant d'analyser chaque chef de réclamation de la demanderesse.

A. La responsabilité des défendeurs

Afin d'analyser la responsabilité des défendeurs, le tribunal sépare son analyse en quatre points distincts : l'incendie du 6 juillet 1999, la responsabilité solidaire ou in solidum des défendeurs, la validité de la survie du bail et les moyens de défense qu'ils soulèvent.

Sur l'incendie du 6 juillet 1999, le tribunal rappelle qu'il n'est pas lié par la conclusion de l'enquête policière, qui ne pouvait retenir hors de tout doute raisonnable la responsabilité des défendeurs. Il est d'avis que le fardeau de la preuve de la responsabilité civile des défendeurs quant à l'incendie du 6 juillet 1999 est rempli par la demanderesse. Le tribunal se base sur une série de faits graves, précis et concordants afin de retenir leur responsabilité pour l'incendie : ils ont notamment proféré des menaces à plusieurs reprises. Ils sont donc civilement responsables de la destruction des améliorations locatives apportées par la demanderesse.

Sur la responsabilité solidaire ou in solidum des défendeurs, le tribunal retient qu'il y a  eu une pluralité de fautes,  tant contractuelles qu'extracontractuelles. Le Centre sportif a failli à son obligation de procurer la jouissance paisible des lieux loués. Jean-Guy Mathers a  proféré  des menaces et reconnu qu'il avait pris en charge les actions du Centre sportif durant toute la durée de l'affaire. Le tribunal retient aussi que même si Jean-Guy Mathers n'était pas directement actionnaire du Centre  sportif, c'était lui qui en contrôlait directement ou indirectement les activités. Il ne peut donc invoquer la structure corporative qu'il a mise en place afin d'éluder sa propre responsabilité. C'est donc la responsabilité in solidum des défendeurs qui est retenue par le tribunal puisque les sources de leur responsabilité sont à la fois contractuelles et extracontractuelles.

Sur la question du bail, les défendeurs sont toujours d'avis qu'il a été dûment résilié, ou à tout le moins non renouvelé. Cependant, pour le tribunal, il y a ici chose jugée puisque tous les motifs de non-renouvellement ou de résiliation ont été soulevés par les défendeurs et font l'objet d'un jugement rendu en janvier  2000. Il y a  identité d'objet, de parties et de causes, donc l'autorité de la chose jugée s'applique à  l'égard de tous les faits touchant l'objet du litige et connus à  l'époque du jugement. Le tribunal s'appuie sur le fait que l'incendie du 6 juillet 1999 était connu du juge en 2000 lorsqu'il a rendu jugement prononçant le renouvellement du bail.

Sur les autres moyens de défense des défendeurs, le tribunal les rejette un à un. Le tribunal ajoute qu'il serait injuste de sanctionner la demanderesse comme le réclament les défendeurs, puisque ceux-ci ont agi avec mauvaise foi et de manière abusive.

B. Les dommages

Le tribunal fait une analyse distincte pour chacun des postes de dommages réclamés par la demanderesse.

100 000 $ pour perte d'achalandage : le tribunal est d'avis que ce dommages n'a pas fait l'objet d'une preuve suffisante. Par ailleurs, la réclamation de la demanderesse prend en compte deux périodes de renouvellement du bail, jusqu'en 2009. Ce poste est rejeté.

181 578 $ pour perte de profits : ce dommages est basé sur différents scénarios proposés par les expertes de la demanderesse. Ils prennent notamment  en compte les profits réalisés par le nouveau restaurant de la demanderesse à Ste-Marthe-sur-le-Lac et vont jusqu'en 2009. Toutefois, suivant le jugement de janvier 2000 confirmant le premier renouvellement du bail, le tribunal n'est pas convaincu qu'un second renouvellement aurait eu lieu. Le tribunal ne retient donc que la réclamation  pour  perte de profits calculée jusqu'à la fin de mars 2004, soit 116 000 $.

136 106,53 $ pour les améliorations locatives : la perte des biens de la demanderesse lors de l'incendie du 6 juillet 1999 a été évaluée à 151 106,53 $. L'assurance a versé 15 000 $. Les expertes de la demanderesse ont évalué la valeur à neuf des améliorations locatives à 151 107 $, et leur coût de remplacement déprécié à 100 000 $. C'est ce dernier montant qui est retenu par le tribunal qui est aussi d'avis qu'en raison des agissements des défendeurs, la  demanderesse a  droit à  la  fois  à une somme à titre de perte de profits, ainsi qu'au coût de remplacement des biens  perdus, quoique les améliorations locatives reviennent techniquement au Centre sportif à la fin du bail. Pour ces raisons, le tribunal octroie 35 000 $ à la demanderesse pour la perte des biens meubles et des inventaires qui ne constituent pas des améliorations locatives.

100 000 $ pour troubles, inconvénients et perte de jouissance : le tribunal rappelle que les inconvénients subis par les actionnaires de la demanderesse ne sont pas les inconvénients subis par la demanderesse elle-même. Les actionnaires ne sont pas ici demandeurs en la présente instance. Le tribunal est d'avis qu'une personne morale peut être indemnisée pour ses  troubles  et inconvénients, ici notamment  en raison de la  succession de recours judiciaires injustifiés intentés par les défendeurs. Par ailleurs, en raison des faits et gestes des défendeurs, la demanderesse a perdu son restaurant, son bail et sa capacité à générer des revenus. Le tribunal lui accorde donc 35 000 $.

166 000 $ pour honoraires professionnels : le tribunal est d'avis que les agissements des défendeurs sont de ceux qui font partie de l'exception à la règle énoncée dans l'arrêt Viel c. Entreprises du Terroir 2. Il s'agit d'abus prémédité et de mauvaise foi, donc la demanderesse a droit au remboursement de ses honoraires d'avocats. Les défendeurs ont utilisé le système de justice « comme une arme de destruction massive ». Le tribunal accueille donc ici l'ensemble de la réclamation.

C. Les dommages punitifs et exemplaires

250 000 $ comme dommages punitifs : la demanderesse réclame des dommages punitifs des deux défendeurs en l'instance. Or, le défendeur Mathers est décédé durant le délibéré. Ses procureurs ont donc fait valoir l'argument qu'il ne pourrait y avoir récidive de sa part. Toutefois, il n'est pas exclu que la  défenderesse Centre sportif puisse, elle, récidiver. Le tribunal ne réduit ni ne mitige donc l'importance des dommages exemplaires réclamés. Après avoir effectué une revue de la jurisprudence de la Cour d'appel et de la Cour suprême sur la question des dommages exemplaires réclamés à une succession, le tribunal conclut que l'octroi de dommages punitifs vise notamment à sanctionner efficacement des conduites attentatoires aux droits fondamentaux d'une partie. Les droits fondamentaux de la demanderesse ont été bafoués et  le tribunal lui octroie 200 000 $ à titre de dommages punitifs et exemplaires. Les défendeurs « n'ont droit à aucune sympathie », de l'avis du tribunal.

D. Les intérêts et indemnités additionnelles

Le tribunal est d'avis qu'il n'y a pas lieu de mitiger le calcul des intérêts sur les dommages octroyés, en raison du comportement  de la demanderesse. Le dossier a certes  pris 16 ans à être entendu, toutefois c'est en raison de la situation précaire dans laquelle les défendeurs ont placé la demanderesse. Les intérêts sur les dommages pécuniaires courront donc de 2001 à 2005, pour tenir compte des dates réelles où ont été subies les pertes.

E. Conclusion du tribunal

Le tribunal octroie donc la somme de 552 000 $ à la demanderesse, les dommages pécuniaires portant intérêt à compter du 16 novembre 2001 jusqu'au 16 novembre 2005 et les dommages punitifs et exemplaires portant intérêt à compter du jugement.

IV– LE COMMENTAIRE DE L'AUTEUR

Les faits de l'affaire sont ici d'une importance primordiale. En effet, le tribunal a visiblement cherché à sanctionner le comportement abusif, frôlant la criminalité, des défendeurs et à envoyer le message très clair qu'un tel comportement dans le cadre d'une relation contractuelle ne sera pas toléré par le système judiciaire.

Cela laisse cependant l'impression que le tribunal a jugé en équité sur bien des aspects, en appuyant principalement sa décision sur les agissements des parties.

La somme de 200 000 $ octroyée à titre de dommages punitifs et exemplaires à la demanderesse démontre avec éloquence un haut degré de mauvaise foi des défendeurs en l'instance. Le tribunal a effet décidé d'octroyer d'importants dommages sous ce chef malgré le décès de l'administrateur de la défenderesse Centre Sportif, M. Mathers, qui était l'acteur principal des décisions quérulentes en la présente instance.

Il y a lieu d'indiquer également que le fait d'accorder des dommages punitifs et exemplaires à une personne morale est somme toute quelque chose d'assez rare, mais relève ici encore une fois du caractère exceptionnel des faits de l'affaire. Le tribunal qualifie d'emblée la situation comme digne du « scénario d'un mauvais film », et mentionne à plusieurs reprises n'avoir jamais rien vu de tel.

CONCLUSION

À la lumière de cette décision, il est important de retenir que l'abus de droit en matière commerciale, qu'il soit commis par une personne physique, une personne morale, l'un de ses administrateurs, dirigeants ou actionnaires est sanctionnable par les tribunaux québécois. Cette décision nous rappelle par ailleurs l'importance pour une société par actions et ses dirigeants d'adopter de bonnes pratiques commerciales  et, lorsque survient un différend, de mettre un terme aux ententes commerciales en toute conformité de la loi et des modalités prescrites dans le contrat entre les parties.

1EYB 2018-293715 (C.S.) ; requête pour cautionnement en appel déférée à la formation chargée d'entendre la requête en rejet d'appel, C.A. Montréal, 500-09-027571- 181, 27 juillet 2018.

2Viel c. Entreprises immobilières du Terroir ltée, 2002 CanLII 63135, EYB 2002-31662. Date de dépôt : 28 août 2018

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Guillaume LAPIERRE et Éliane BOUCHER, «Commentaire sur la décision 9004-2243 Québec inc. c. Centre sportif St-Eustache inc. – Importante sanction en matière de bail commercial», dans Repères, août 2018, La référence Yvon Blais, EYB2018REP2532.»

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