Municipal
Suspension du programme de bonis des cadres, est-ce une réduction unilatérale de traitement?
Dans cette affaire, les demandeurs sont membres de l’Association du personnel de direction de la Ville de Québec et représentent près du deux tiers des cadres à la Ville. Depuis 2005, ils bénéficient du programme de gestion de la performance sur la base des attentes signifiées. Le programme cible les résultats et les comportements attendus des cadres et vise à leur offrir un outil d’évaluation leur assurant une reconnaissance salariale qui prend la forme de bonis au rendement ou de progression salariale.
En décembre 2016 le conseil de Ville suspend le programme pour les années 2017 et 2018. La suspension vise uniquement le versement des bonis au rendement pour toutes les personnes qui y auraient eu droit.
Les demandeurs entreprennent un recours en vertu des articles 71 et 72 de la Loi sur les cités et villes, alléguant qu’il s’agit d’une réduction unilatérale de leur traitement. Ils demandent au Tribunal que la décision de suspendre les bonis soit déclarée nulle et que la Ville respecte leurs conditions de travail en appliquant le programme jusqu’en 2018. La Ville prétend, quant à elle, qu’il n’y a pas eu de réduction unilatérale du traitement ni de modification du contrat de travail.
Le Tribunal conclut qu’il y a eu une réduction du traitement, mais qu’elle est permise par le contrat de travail, pour autant qu’elle soit justifiée, ce qui est le cas dans ce dossier.
En décembre 2005, la Ville adopte un recueil sur les conditions de travail de ses cadres qui prévoit notamment des bonis et une enveloppe salariale à cet effet. Pour donner suite à des compressions budgétaires, le recueil est modifié en 2007 pour réduire l’enveloppe salariale dédiée aux bonis, alors qu’une clause est ajoutée pour imposer le maintien des progressions salariales advenant l’abolition du programme de gestion de la performance.
Il est reconnu que la détermination des bonis et la progression salariale sont tributaires du rendement du cadre et de l’enveloppe budgétaire autorisée par la Ville. Les résultats sont donc variables et dépendent des choix faits par l’évaluateur lorsqu’il répartit les sommes disponibles. La Ville considère les bonis comme une rémunération additionnelle discrétionnaire.
Pour le Tribunal, le boni fait partie du salaire des cadres lorsqu’il est versé et la décision de suspendre son versement constitue une réduction du traitement. Toutefois, le recueil des conditions de travail prévoit non seulement que la Ville peut abolir le programme, mais également qu’elle peut modifier la masse salariale lorsque la situation le justifie.
La preuve révèle que le budget municipal est élaboré annuellement en tenant compte des orientations prises pour les années à venir. Au fil des ans, certaines prévisions se sont avérées trop élevées. Les hausses de taxes ont dépassé le taux d’inflation réel. Afin de corriger la situation, la Ville a décidé de limiter celles de 2017 et de 2018 afin que leur progression coïncide avec l’inflation. La compression de l’augmentation des revenus anticipés de la Ville en est donc une conséquence directe. Parmi les solutions proposées pour atteindre l’équilibre budgétaire, il est décidé d’abolir les bonis sans toutefois toucher aux progressions salariales ce qui amoindrit l’effet négatif de la décision.
Le Tribunal évaluant si les motifs allégués par la Ville sont légitimes, raisonnables et non discriminatoires, mentionne que le fait que la réduction découle d’un choix politique ne la rend pas illégitime pour autant et que la Loi n’interdit pas toutes les réductions. Les bonis n’ont pas été suspendus de façon arbitraire ou discriminatoire, mais dans le cadre d’une compression des dépenses justifiable et la décision vise tous les cadres de la Ville et non seulement les demandeurs. La Ville n’était, par ailleurs, aucunement de mauvaise foi lorsqu’elle a pris cette décision.
Le Tribunal rejette en conséquence les plaintes des demandeurs, la décision de suspendre le versement des bonis étant justifiée dans les circonstances.
1Berthiaume et Ville de Québec, 2018 QCTAT 2134, décision rendue par Annie Laprade, juge administrative.
** Cet article a été écrit en collaboration avec Sabrina Landry-Bergeron, stagiaire en droit. **