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Travail et emploi

La jurisprudence récente sur les droits de l’employeur au dépistage de drogues et d’alcool

  • Marianne Bessette
Par Marianne Bessette Avocate
Les employeurs se questionnent régulièrement à savoir dans quelles circonstances ils peuvent imposer unilatéralement un test de dépistage de drogues ou d’alcool au travail.

Or, il faut faire une distinction entre les tests de dépistage suivant la survenance d’un évènement propre à l’individu visé et les tests de dépistage aléatoires ou systématiques dans un milieu de travail dangereux.

1) Tests de dépistage individuels suivant la survenance d’un évènement

De manière générale, la jurisprudence constante reconnaît les droits d’un employeur d’exiger unilatéralement à un individu visé un test de dépistage d’alcool ou de drogues suivant l’une ou l’autre des circonstances suivantes :

a)    Motifs raisonnables de croire que l’employé a eu les facultés affaiblies dans l’exercice de ses fonctions; ou
b)    Implication dans un accident ou un incident de travail qui, après enquête, ne peut être expliqué autrement; ou
c)    Retour au travail après avoir suivi un traitement pour combattre l’alcoolisme ou la toxicomanie.

Considérant l’obligation de l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé, la sécurité et l’intégrité physique de ses travailleurs, la justification du test de dépistage individuel suivant l’un ou l’autre de ces évènements peut, de manière générale, être démontrée dans tous les milieux de travail.

2) Tests de dépistage aléatoires ou systématiques

La jurisprudence canadienne récente semble avoir imposé des contraintes très sévères en regard des tests de dépistage aléatoires ou systématiques. Par le fait même, une certaine incertitude demeure auprès des employeurs sur cette question.

En 2013, dans l’affaire Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâte & Papier Irving, Limitée, [2013] 2 R.C.S. 458 (ci-après « Irving »),la Cour suprême du Canada a statué sur cette question dans le contexte d’un milieu de travail dangereux, soit une usine de papier. La Cour suprême du Canada a clarifié que l’employeur n’a pas un droit absolu d’imposer des tests de dépistage d’alcool ou de drogues dans un milieu de travail dangereux, estimant qu’il s’agissait d’une atteinte injustifiée à la dignité et à la vie privée des employés. Selon la majorité des juges, en plus de la preuve d’un milieu de travail dangereux, l’employeur doit démontrer un problème généralisé de consommation d’alcool ou de drogues au travail. L’arrêt Irving confirme ainsi la décision du tribunal d’arbitrage qui qualifiait ce problème en milieu de travail de sérieux ou important.

Dans les faits, l’arrêt Irving a eu des impacts majeurs pour les milieux de travail qualifiés de dangereux, sans néanmoins apporter une solution pratique et durable au débat. En effet, les employeurs désirent utiliser les tests de dépistage aléatoires ou systématiques à titre préventif, avant qu’il y ait un problème généralisé qui serait sérieux ou important.

Depuis l’arrêt Irving, les tribunaux ont de nouveau adressé la question des tests de dépistage aléatoires ou systématiques, notamment en Alberta, dans l’arrêt de la Cour d’appel d’Alberta Suncor Energy Inc. v. Unifor Local 707A, 2017 ABCA 313 (ci-après « Suncor »), rendu le 28 septembre 2017, et en Colombie-Britannique dans l’affaire Teck Coal Ltd v. United Steelworkers, Locals 7884 and 9346, 2018 CanLII 2386 (BC LA) (ci-après « Teck Coal ») dont la décision a été rendue le 23 janvier 2018.

Les décisions Suncor et Teck Coal ont adressé la question du fardeau de preuve nécessaire pour rencontrer le critère précité du problème généralisé de consommation de drogues ou d’alcool en milieu de travail.  

Dans l’affaire Suncor, la Cour d’appel d’Alberta a conclu, en respectant les enseignements de l’arrêt Irving, que le tribunal d’arbitrage a imposé une norme trop sévère en décidant que la preuve d’un problème de consommation de drogues et d’alcool se limitait à l’unité de négociation en question. Suncor Energy Inc. avait fait une vaste preuve sur les problèmes d’abus de drogues dans le milieu de travail de l’ensemble de ses opérations, par ses employés (syndiqués et non-syndiqués) et des contractuels. La Cour d’appel d’Alberta a décidé que la preuve d’un problème général en milieu de travail était pertinente et pouvait intégrer l’ensemble de ces groupes. Bien que la Cour ait répondu par l’affirmative, elle n’a pas voulu décider sur le fond et a référé la cause devant un nouveau tribunal d’arbitrage.

Dans l’affaire Teck Coal, l’arbitre Kinzie a suivi le raisonnement de l’affaire Suncor en acceptant une preuve généralisée d’abus de drogues et d’alcool dans le milieu de travail des cinq sites de Teck Coal, bien que l’arbitrage ne concernait seulement que deux de ces sites. De plus, au niveau du fardeau de la preuve, l’arbitre Kinzie a décidé que Teck Coal devait faire la preuve d’un problème « réel » d’abus de drogues et d’alcool, distinct de la preuve du milieu de travail dangereux. Selon l’arbitre, si l’employeur réussit à faire la preuve du problème généralisé, ce dernier doit également démontrer que sa politique de dépistage aléatoire est raisonnable et appropriée compte tenu de l’atteinte à la vie privée des employés.

Enfin, l’arbitre Kinzie a décidé que l’employeur Teck Coal n’avait pas fait la preuve d’un problème généralisé réel. De plus, il a décidé que la preuve de l’efficacité des tests de dépistage pour réduire les accidents ou les blessures n’était pas concluante, et ce, malgré les témoignages des experts. Bref, le milieu de travail de Teck Coal n’était pas plus sécuritaire en imposant des tests de dépistage aléatoires ou systématiques.

Conclusions

Qu’importe le type de test de dépistage d’alcool ou de drogues, la décision de faire de tels tests doit être basée sur une justification reconnue par la jurisprudence et, au surplus, l’employeur doit être capable de mettre en preuve les motifs qui le justifient. Nous sommes d’avis que la preuve par expert, dont la preuve médicale, demeure importante pour rencontrer le fardeau de preuve de l’employeur.  Cette considération est d’autant plus importante en matière de tests aléatoires ou systématiques puisque le fardeau de preuve est encore plus élevé et difficile à rencontrer.

La jurisprudence récente tend à démontrer qu’à moins d’un renversement de l’opinion des experts, les employeurs ne peuvent utiliser le dépistage aléatoire comme moyen de prévention et de gestion des risques d’accidents ou de blessures causés par la consommation de drogues ou d’alcool.

Pour les entreprises œuvrant dans un milieu de travail dangereux, il nous apparait préférable de favoriser d’autres mesures de gestion à titre préventif. Par exemple, il pourrait être opportun d’intégrer une politique de dénonciation volontaire de la consommation d’alcool et de drogues, accompagnée d’un programme d’aide payé par l’employeur, comportant des conséquences claires ayant un effet dissuasif.

Plus précisément, en l’absence de dénonciation volontaire et suivant un accident causé par un employé ayant un problème de consommation de drogues ou d’alcool, le congédiement serait automatique.Une telle politique a été reconnue valide par la Cour suprême du Canada en 2017, dans l’arrêt Stewart c. Elk Valley Coal Corp., [2017] 1 R.C.S. 591.

Pour plus d’informations à ce sujet, nous vous invitons à contacter notre équipe en droit du travail et de l’emploi.

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