Litige
Pertes financières d’un client : quelle est la responsabilité du professionnel?
C’est ce qui a été analysé dans la décision Latouche c. Lavoie1.
Dans ce dossier, les demandeurs Latouche avaient initialement retenu les services du défendeur Lavoie et de sa société pour les aider afin de faire accepter une proposition concordataire de la société des demandeurs par ses créanciers, ce qui fut une réussite.
Par la suite, les demandeurs confient un rôle de conseil pour les opérations de leur société au défendeur. À noter que le défendeur nie ce nouveau rôle, mais le tribunal ne retient pas sa version des faits.
La société des demandeurs continue à opérer, mais elle connait des retards de paiement dans les factures d’un fournisseur. Une pétition de faillite est déposée par ce fournisseur impayé. Jugement est rendu ordonnant à la société des demandeurs de payer la somme de 77 359 $ dans un délai de 30 jours, à défaut de quoi la société sera en faillite.
C’est par la suite que les complications commencent.
En effet, après discussions, les demandeurs donnent instruction au défendeur de mandater leur avocat pour porter la décision en appel. L’appel d’un jugement en faillite devant être effectué dans un délai limité et ce délai étant expiré, l’appel de la société des demandeurs est rejeté.
À ce moment, le défendeur n’informe pas les demandeurs du rejet de l’appel. C’est un tiers qui va informer les demandeurs que leur société est en faillite.
Une information essentielle n’a pas été transmise par le défendeur aux demandeurs : suivant la faillite de leur société, les dettes fiscales de cette dernière deviennent leur responsabilité personnelle. Les demandeurs sont ainsi submergés par des dettes fiscales et ils feront faillite personnelle par la suite.
Les demandeurs reprochent donc au défendeur les fautes professionnelles suivantes :
• Omission de leur dire que les dettes fiscales de leur société, appelée à faire faillite, leur seraient personnellement transférées et, ce faisant, ne leur donne pas la chance de verser la somme nécessaire pour éviter cette faillite;
• Procéder à des prêts assortis de garanties en sa faveur et en privilégiant ses propres intérêts au détriment de ceux des demandeurs et de leur entreprise;
• Ne pas relayer à temps le mandat d’aller en appel d’une décision rendue le 7 avril 2010, ce qui provoqua la faillite de l’entreprise;
• Cacher que l’appel n’avait pas été logé à temps et qu’il avait été rejeté;
• Recommander de procéder illégalement à un roulement des biens entre 2 entreprises;
• Prodiguer de mauvais conseils qui les ont menés à faire face à 4 faillites.
Selon le juge Samson, la faute principale du défendeur qui a conduit aux problèmes personnels des demandeurs est son manque de conseils en ne les prévenant pas que les dettes fiscales de leur société leur seraient réclamées personnellement. Ainsi, les autres fautes stratégiques reprochées au défendeur sont secondaires. Selon les termes du juge Samson, « le défendeur Lavoie n’a alors pas agi avec prudence et diligence ».
Au surplus, le tribunal n’accorde pas de crédibilité au défendeur.
Le tribunal condamne ainsi le défendeur, sa société et sa fiducie personnelle à payer aux demandeurs, notamment, une partie de leurs réclamations, dont la somme de 75 000 $ chacun.
La conduite du défendeur dans ses relations de conseil avec les demandeurs qui est soulevée dans cette affaire est particulière et constitue très certainement un cas d’espèce.
En finalité, on peut, notamment, retenir de cette décision deux éléments importants afin d’éviter de se retrouver face à une réclamation d’un ancien client pour responsabilité professionnelle :
• Ne pas accepter un mandat qui excède ses aptitudes et connaissances;
• Dans l’accomplissement du mandat, donner des conseils complets, prudents et empreints d’objectivité à son client.
N.B. : Une déclaration d’appel a été déposée le 11 août 2017. Il sera intéressant de voir si la Cour d’appel va décider de maintenir ou de modifier le jugement rendu par le juge Samson.
1Latouche c. Lavoie 2017 QCCS 2932