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Propriété intellectuelle

Quand le droit d'auteur s'invite aux Oscars

Lors de la 86e cérémonie des Academy Awards, Ellen De Generes (« Ellen ») a proposé aux téléspectateurs de fracasser le record de partage d’une photo sur Twitter.

 

Lors de la 86e cérémonie des Academy Awards, Ellen De Generes (« Ellen ») a proposé aux téléspectateurs de fracasser le record de partage d’une photo sur Twitter. L’animatrice avait alors en tête un « selfie » avec Meryl Streep, mais a rapidement changé d’idée afin d’inclure plusieurs autres célébrités. Le cliché a finalement été pris par Bradley Cooper (« Bradley ») à l’aide du cellulaire d’Ellen. La photo a été publiée sur Twitter à 22 h 06 le 2 mars dernier et a rapidement été partagée plus de 3 millions de fois. Devant un tel effet viral, la propriété du droit d’auteur sur le cliché pourrait s’avérer très lucrative! Si la situation devait être analysée en tenant compte du droit canadien, qui serait propriétaire du droit d’auteur?

En droit canadien, la question est d’autant plus complexe depuis les amendements apportés en 2012 qui ont eût pour effet d’abroger les dispositions spécifiques aux photographies. C’est donc dire que depuis ces changements, il faut appliquer les règles applicables en matière d’œuvre artistique, c’est-à-dire que le titulaire du droit d’auteur est l’auteur de l’œuvre faisant l’objet du droit d’auteur. La Loi sur le droit d’auteur ne définit cependant pas la notion d’auteur. Il faut donc tenter de déterminer qui a fait preuve de talent et de jugement dans la création de la photographie. De plus, cet exercice ne doit pas être négligeable au point qu’on puisse le qualifier d’entreprise purement mécanique1.

Qui donc détient le droit d’auteur dans le cliché? Est-ce Ellen? Après tout, c’est son idée et elle a participé à l’organisation de la photo.
Est-ce Bradley? C’est lui qui prend le cliché. Est-ce une œuvre en collaboration entre Ellen et Bradley? Est-ce The Academy of Motion Pictures Arts and Sciences puisque la photo a été prise pendant son événement?

Nous sommes d’avis qu’en vertu du droit canadien, Ellen en serait la seule titulaire du droit d’auteur. Voici pourquoi.

Le fait que l’idée de prendre la photo provienne d’Ellen n’est pas pertinent afin de déterminer si elle détient le droit d’auteur sur la photo. En effet, comme l’enseigne la Cour suprême du Canada, le droit d’auteur protège l’expression d’une idée et non l’idée en tant que telle2. Il est manifeste dans le vidéo documentant la prise de la photo qu’Ellen a supervisé le positionnement de la photo, et qu’elle était, jusqu’à la dernière seconde, celle qui devait prendre le cliché. C’est elle qui fait preuve de talent et de jugement en positionnant les autres membres de la photo.

Au surplus, Ellen pourrait tenter de faire l’argument que Bradley n’était qu’un « employé en vertu d’un contrat de louage de service » et donc, en tant qu’employeur, le droit d’auteur lui appartenait. Bradley ne prend l’appareil qu’à la toute fin, lorsqu’il devient manifeste qu’Ellen n’est pas dans une position qui lui permet de prendre tout le groupe de gens. Les services de Bradley seraient donc retenus par Ellen, moyennant une contrepartie non-pécuniaire.

Cependant, la règle générale en matière de droit d’auteur veut que le titulaire du droit d’auteur soit celui qui a pris la photo. Puisque Bradley est celui qui, au final, aura pris le célèbre cliché, il pourrait être le seul à pouvoir en revendiquer le droit d’auteur. Dans les faits, peut-on cependant dire que Bradley a fait preuve de talent et de jugement dans la prise du cliché? L’auteur Normand Tamaro indique qu’il « n’est pas suffisant d’agir à titre de secrétaire; il faut participer effectivement à la création de l’œuvre et non à sa seule expression sous la dictée de quelqu’un d’autre.3»  Dans les faits, pourrait-on affirmer que le rôle de Bradley pourrait être réduit à un simple trépied? Comme si Ellen avait appuyé sur le bouton d’un appareil photo muni d’un retardateur. Bradley peut difficilement faire preuve de talent et de jugement dans ce cas-ci, car la nature même d’un « selfie » impose l’angle de vue et tout ce qu’il a eu à faire a été le geste purement mécanique d’étirer son bras pour ensuite appuyer sur le déclencheur pour prendre la photo.

Il est aussi possible que la titularité du droit d’auteur ne soit pas exclusivement à Ellen ou à Bradley, mais qu’il s’agisse en réalité d’une œuvre en collaboration entre les deux. Pour ce faire, il faudrait établir que la part de la photo créée par Ellen n’est pas distincte de celle créée par Bradley. Tel que nous l’avons déjà mentionné, le rôle de Bradley aura été très limité, voire assimilable à un trépied, nous sommes d’avis que Bradley ne pourra revendiquer la titularité selon la doctrine de l’œuvre en collaboration.

Il est peu probable que le droit d’auteur puisse appartenir à The Academy of Motion Pictures Arts and Sciences, l’employeur qui a retenu les services d’Ellen pour l’animation de la soirée. Pour établir la titularité en faveur de l’Académie, cette dernière pourrait avoir de la difficulté à établir que prendre une photo était une composante des fonctions d’Ellen, car après tout, Ellen n’a pas été retenue à titre de photographe, mais bien à titre d’animatrice.

Qu’en est-il alors des autres célébrités se trouvant dans la photo, font-elles preuve de talent et de jugement en se positionnant dans la photo? Pourraient-elles en revendiquer la titularité en fonction de la doctrine d’œuvre en collaboration? Nous croyons que non, elles ne font que participer à titre de sujet dans la photo. Leur participation volontaire constitue d’autant un consentement tacite à l’utilisation de leur l’image.

Finalement, puisque la photo a été publiée via le réseau Twitter, il faut déterminer si les termes et conditions d’utilisation de Twitter prévoient un transfert de propriété. Il s’agit de la portion la moins problématique, puisque les modalités de Twitter prévoient, à l’article 5, que l’usager conserve ses droits dans le contenu qu’il rend disponible sur Twitter. Ce même article 5 prévoit aussi que l’usager consent à une licence non-exclusive, sans paiement de royautés, permettant à Twitter d’utiliser, de reproduire, de modifier et de diffuser tout contenu mis en ligne sur Twitter.

Malgré le caractère loufoque et purement académique de la situation, celle-ci illustre bien toute la complexité de la titularité des droits d’auteur au Canada. Il sera intéressant de suivre ce dossier afin de voir si une personne impliquée dans la prise de la photo en revendiquera les droits et essaiera de commercialiser le fameux cliché.

Selon-vous, qui détient le droit d’auteur sur le cliché?

[1] CCH Canadienne Ltée c Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13 au para 25. (« CCH »).
[2] Ibid, au para 8. (« CCH »).
[3] Normand Tamaro, Loi sur le droit d’auteur, 8e éd, Scarborough, Carswell, 2009 à la p. 364.

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