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Criminel et pénal

Nouveau cadre d'analyse en matière de délais déraisonnables

L’actualité judiciaire regorge de cas où le justiciable demande aux tribunaux un arrêt des procédures pour cause de délais déraisonnable.

Récemment, l’ancien maire de Montréal Michael Applebaum s’est vu refuser une telle demande. En 2012, l’ex-champion olympique de patinage de vitesse Marc Gagnon avait obtenu un arrêt des procédures en Cour du Québec. Par contre, le 23 juillet 2013, le juge Guy Cournoyer de la Cour supérieure annulait l’arrêt des procédures et ordonnait la continuation du procès.

Ces deux cas de figure démontrent que les tribunaux de première instance sont quotidiennement confrontés à des délais de plus en plus importants pour juger des accusés en matière criminelle. Or, l’article 11 de la Charte canadienne des droits et libertés à son alinéa b) prévoit que : 

« Tout inculpé a le droit :

b) d'être jugé dans un délai raisonnable; »

De plus, l’article 24 de la même Charte à son premier alinéa énonce que : 

« Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances. »

Le 8 juillet dernier, la Cour Suprême du Canada dans le cadre de l’arrêt R c. Jordan1 , a rendu un jugement qui modifie une trentaine d’années de jurisprudence de la Cour en matière de délais déraisonnables.   

En effet, dans un jugement partagé à 5 juges contre 4, la majorité de la plus haute cour du pays en vient à la conclusion que le temps est venu de modifier les règles proposées dans l’arrêt R c. Morin2 . Elle est d’avis qu’il faut dorénavant recourir à l’application d’un nouveau cadre d’analyse.  

Les juges majoritaires considèrent que l’ancien cadre d’analyse de l’arrêt Morin a engendré des problèmes tant sur le plan théorique que pratique, concourant ainsi à une culture des délais et de complaisance à l’endroit de cette culture. La cour s’exprime ainsi : « Sur le plan théorique, ce cadre d’analyse est trop imprévisible, trop difficile à saisir et trop complexe. Il est devenu lui-même un fardeau pour des tribunaux de première instance déjà surchargés. D’un point de vue pratique, la justification après coup du délai sur laquelle débouche le cadre établi dans Morin n’incite pas les participants au système de justice à prendre des mesures préventives pour remédier aux pratiques inefficaces et au manque de ressource. Il faut donc recourir à un nouveau cadre d’analyse pour appliquer l’al. 11 b). »

Afin de mieux comprendre le nouveau cadre d’analyse établi par l’arrêt Jordan, il est nécessaire de connaître les grandes lignes du cadre proposé dans l’arrêt Morin. À noter que compte tenu des commentaires de la Cour dans l’arrêt Jordan à savoir que le cadre d’analyse de l’arrêt Morin est difficile à saisir et trop complexe, je me contenterai de vous en résumer les grands principes.   

Cadre d’analyse selon l’arrêt Morin 

Selon l’ancien cadre d’analyse, le juge doit analyser la longueur du délai, soit le temps écoulé entre la date du dépôt des accusations et la date à laquelle le procès doit avoir lieu. Une fois ce délai établi, il faut en soustraire le délai attribuable à la défense. Par la suite, le juge doit se demander si le délai soulève un doute quant à son caractère raisonnable. Si tel est le cas, le juge doit qualifier tous les délais dans une cause donnée et y appliquer les lignes directrices.  

Ensuite, le juge doit se pencher sur la présence ou non d’un préjudice pour l’accusé, car cela peut avoir un impact sur la période de délais considérée comme étant acceptable. Finalement, le tribunal se doit de soupeser l'intérêt de la société à voir les inculpés traduits en justice et celui de l'accusé à obtenir rapidement une décision. La Cour, à cette époque, considérait que : « Plus un crime est grave, plus la société exige que l’accusé subisse un procès ».

Analysons maintenant les grands principes du nouveau cadre d’analyse de l’arrêt Jordan

Nouveau cadre d’analyse selon l’arrêt Jordan

Les faits : 

M. Jordan a été inculpé en décembre 2008 pour avoir participé à une opération de vente de drogue sur appel. Son procès s’est terminé en février 2013. Jordan a présenté une demande en vertu de l’alinéa 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés en vue d’obtenir l’arrêt des procédures en raison du délai. Le juge du procès a rejeté sa requête en se basant sur le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Morin. Par conséquent, Jordan a été déclaré coupable. La Cour d’appel a rejeté l’appel.

La Cour Suprême a accueilli le pourvoi, elle a annulé les déclarations de culpabilité et elle a ordonné l’arrêt des procédures.  

Selon l’avis de la majorité de la Cour, voici en quoi consiste le nouveau cadre : « Au cœur de ce nouveau cadre se trouve un plafond présumé au delà duquel le délai entre le dépôt des accusations et la conclusion réelle ou anticipée du procès est présumé déraisonnable, à moins que des circonstances exceptionnelles le justifient. Ce plafond présumé est fixé à 18 mois pour les affaires instruites devant une cour provinciale et à 30 mois pour celles instruites devant une cour supérieure (ou celles instruites devant une cour provinciale à l’issue d’une enquête préliminaire). Le délai imputable à la défense ou celui qu’elle renonce à invoquer ne compte pas dans le calcul visant à déterminer si ce plafond est atteint.

Une fois que le plafond présumé a été dépassé, il incombe au ministère public de réfuter la présomption du caractère déraisonnable du délai en invoquant des circonstances exceptionnelles. S’il ne peut le faire, un arrêt des procédures doit suivre. Des circonstances exceptionnelles sont des circonstances indépendantes de la volonté du ministère public, c’est à dire (1) qu’elles sont raisonnablement imprévues ou raisonnablement inévitables, et (2) qu’on ne peut raisonnablement y remédier.
»

« Lorsque le délai est inférieur au plafond présumé, il incombe toutefois à la défense de démontrer le caractère déraisonnable du délai. Pour ce faire, elle doit démontrer (1) qu’elle a pris des mesures utiles qui font la preuve d’un effort soutenu pour accélérer l’instance, et (2) que le procès a été nettement plus long que ce qu’il aurait dû raisonnablement être. En l’absence de l’un ou l’autre de ces deux facteurs, la demande fondée sur l’al. 11b) doit être rejetée. Dans les cas où le délai est inférieur au plafond, l’arrêt des procédures ne doit être prononcé que dans les cas manifestes. »

Ce qu’il faut retenir c’est que dorénavant, il y aura une présomption qu’un délai est déraisonnable lorsqu’il sera supérieur au plafond fixé par la Cour Suprême. Ce sera alors au ministère public de repousser la présomption au moyen de circonstances exceptionnelles.  

Par contre, lorsque le délai est inférieur au même plafond, ce sera à l’accusé à démontrer le caractère déraisonnable du délai. Sa réussite est maintenant tributaire des deux aspects mentionnés précédemment.  

Compte tenu que la décision Jordan est très récente, reste à voir comment les tribunaux de première instance vont l’appliquer. Est-ce que le cadre d’analyse de l’arrêt Morin sera complètement écarté ou partiellement et indirectement intégré à l’application du nouveau cadre?  

1 2016 CSC 27
2 [1992] 1 RCS 771

 

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