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Municipalités: Attention à ce que vous dites!

  • Simon Letendre
Par Simon Letendre Associé
Depuis quelques années, en matière de diffamation, une nouvelle jurisprudence émane alors que l’on aperçoit de plus en plus certaines municipalités entreprendre des procédures judiciaires contre des citoyens pour atteinte à leur réputation, des élus poursuivre des citoyens en diffamation ou des élus revendiquer ce droit fondamental auprès d’autres élus.

Il est cependant plus rare qu’une entreprise initie des procédures judiciaires pour atteinte à sa réputation en raison de propos diffamatoires tenus par une municipalité ou ses représentants.

Or, le 14 août 2015, l’honorable Guylène Beaugé, J.C.S., a rendu une décision à ce sujet dans l’affaire Experts-Conseils R.B. inc. c. Sainte-Marthe-sur-le-Lac1 .

Dans cette affaire, Experts-Conseils R.B. inc. poursuit la ville de Sainte-Marthe-sur-le-Lac (ci-après la « Ville ») pour diffamation et réclame une somme totale de 2.5 millions de dollars en dommages et intérêts compensatoires et exemplaires.

Les faits sont les suivants :

Au milieu des années 90, Experts-Conseils R.B. inc. obtient un contrat de la Ville pour la gestion d’un projet de construction d’un nouveau réseau d’égouts sur la totalité de son territoire. En novembre 1999, la Ville suspend tout paiement d’honoraires et résilie le contrat intervenu avec l’entreprise de génie-conseil.  Experts-Conseils R.B. inc. poursuit donc la Ville pour plus d’un million de dollars en honoraires dus aux termes du contrat. 

La Ville se défend et se porte demanderesse reconventionnelle pour une compensation de 1,63 million de dollars alléguant fraude et abus de confiance. Elle allègue: (1) détournement de fonds, (2) traitement de faveur envers un sous-traitant et (3) irrégularités relatives à un lien routier entre certaines municipalités.  

La Ville ne se limite pas à écrire ceci dans son acte de procédure, mais, accompagnée d’experts en relations publiques, elle le diffuse publiquement. Les journaux spécialisés et les quotidiens régionaux s’emparent de la nouvelle et la diffuse allègrement. 

Le 7 janvier 2002, Experts-Conseils R.B. inc. intente une procédure en diffamation contre la Ville et allègue une atteinte importante à sa réputation. Elle appuie sa réclamation d’une expertise faisant valoir une perte économique en découlant de 1,8 million de dollars.

À la suite d’un changement d’administration, en décembre 2003, les parties règlent le dossier de l’action sur compte sans toutefois mettre fin à l’action en diffamation. La Ville paie une compensation de plus de 1,1 million de dollars en capital, frais et intérêts à l’entreprise de génie-conseil. Elle diffuse également un communiqué de presse d’excuses officielles reconnaissant avoir porté des accusations qui se sont avérées non fondées et diffamatoires. La mairesse reconnaît aussi que des propos injustifiés ont été tenus à l’encontre de l’entreprise et qu’aucune preuve ne justifiait les allégations offensantes. Elle déplore vivement les termes utilisés et reconnaît que rien ne justifiait une attaque de la sorte.

Devant ces faits, la Juge Beaugé n’a eu d’autre choix que de reconnaître la faute de la Ville.

La Juge écrit ceci : 

« [69]  En l'instance, le Tribunal n'hésite pas à conclure que la Ville connaissait et voulait les conséquences néfastes pour ERB [Experts-Conseils R.B. inc.] de ses propos diffamatoires. Sa défense et demande reconventionnelle mûrement réfléchie jointe à son communiqué de presse dénote son intention de nuire à ERB, de briser cette entreprise qui la poursuivait pour honoraires impayés. Non contente de proférer des allégations injurieuses dans son acte de procédure, elle prépare soigneusement son offensive médiatique avec l'assistance d'un cabinet de conseillers en communications, cédant à un certain réflexe belliqueux dictant que la meilleure défense est l'attaque. »

La Juge ajoute :

(…) « devant l'échec de la voie de la négociation, la Ville choisit malicieusement une arme fatale : la diffamation. L'intention de nuire, plus de bâillonner, se débusque aisément. »

En conséquence, le Tribunal condamne la Ville à payer à Experts-Conseils R.B. inc. une somme totale de près de 1,9 million de dollars, soit : 

•    1,8 million de dollars en dommages, représentant la perte pécuniaire causée par la diffamation;
•    50 000 $ à titre de préjudice moral à la suite de l’atteinte à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation;
•    30 000 $ à titre de dommages punitifs.

Nous vous rappelons que l’octroi de dommages punitifs a comme objectif de « dissuader » le défendeur et les autres d’agir ainsi.2  Est-ce assez ? Nous osons croire que oui.

Nous notons également que pour le moment, nous n’avons pas d’information à savoir si la Ville portera en appel la décision de la Cour supérieure.

Que retenir de cette décision?

Nous vous rappelons que les municipalités sont considérées comme toute autre personne morale qui, dans l’exercice de leurs droits, doivent se comporter en personne raisonnable guidée par les principes de bonne foi. À ce titre, nous portons à votre attention l’article 7 du Code civil du Québec qui prévoit que : 

« 7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi. »

Les municipalités ne sont donc pas à l’abri de poursuites judiciaires quand elles exercent leurs droits civils à l’encontre des exigences de la bonne foi. Aucune immunité n’est accordée aux municipalités, à leurs élus ou à leurs fonctionnaires quant aux gestes ou paroles diffamatoires. D’autant plus que les municipalités, à titre d’organismes publics et de donneurs d’ouvrage, ont une influence certaine sur les autres organismes publics et les citoyens.  

Ainsi, la prudence est de mise avant d’accuser une personne de faits ou de gestes répréhensibles. Des preuves solides et vérifiées sont nécessaires avant de porter quelque accusation que ce soit à l’encontre d’une autre personne. 

Si des soupçons sont soulevés concernant une entreprise, mieux vaut faire une enquête interne ou en avertir les autorités compétentes. La plupart du temps, il faut éviter d’en faire un débat sur la place publique. Soyez prudents!

 

1 2015 QCCS 3824

2 Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, au par. 179.

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