Travail et emploi
Les salariés sont-ils à l'abri de leur propre démission?
Les faits dans cette affaire sont les suivants : un intervenant en centre jeunesse brise un meuble en voulant faire une blague à un collègue. Malgré sa tentative de cacher le tout à l’employeur, un collègue le dénonce et l’employeur le suspend avec solde pour fins d’enquête. Lors de sa suspension, une rencontre avec l’employeur tourne au vinaigre. N’appréciant pas que l’employeur mette sa version des faits en doute, le plaignant se met en colère et déclare le 7 février 2014 : « je suis tanné, je démissionne, je veux mon 4 % ». Bien que les différents témoins entendus aient une version différente des propos du plaignant lors de cette rencontre, tous s’entendent sur le fait qu’il a demandé son « 4 % ».
Dans une rencontre une semaine plus tard, l’employeur questionne à nouveau le salarié sur son intention de démissionner. Le salarié indique alors qu’il n’a jamais voulu démissionner et qu’il ne peut pas le faire, car il a besoin d’argent. Malgré cette affirmation, l’employeur prend acte par écrit, quelques jours plus tard, de la démission du salarié en date du 7 février et confirme ainsi sa fin d’emploi.
Le salarié dépose donc un grief demandant sa réintégration.
Dans sa décision, l’arbitre Gagnon expose sept (7) principes d’analyse qui doivent guider le tribunal dans l’analyse du caractère liant de la démission2:
1) la démission comporte un élément objectif et un élément subjectif;
2) la démission doit être volontaire;
3) l’intention est exprimée ou pas (appréciation différente selon le cas);
4) l’intention ne se présume pas si la conduite de l’employé est incompatible avec une autre interprétation;
5) l’expression de l’intention n’est pas nécessairement concluante quant à la véritable intention de l’employé;
6) en cas d’ambiguïté, on refuse de conclure à une démission;
7) la conduite antérieure et postérieure constitue un élément pertinent pour apprécier. Seul un acte positif posé une fois passée la colère ou l’émotion, quand le salarié a repris ses sens, est de nature à pouvoir confirmer une volonté de démissionner exprimée sous le coup de la colère.
De plus, comme l’indique l’arbitre Gagnon, il revient à l’employeur d’établir une intention de démissionner de la part du salarié. Le salarié peut alors établir que cette intention était viciée car non faite de manière libre et volontaire.
L’arbitre Gagnon conclut que l’émotion et la colère du plaignant ont vicié son intention de démissionner et elle ordonne donc sa réintégration ainsi qu’une compensation pour toutes les sommes perdues depuis le 7 février 2014.
Même si cette décision est défavorable aux employeurs, elle demeure pertinente en ce qu’elle démontre, une fois de plus, que les employeurs doivent faire preuve de prudence avant de conclure à la démission d’un salarié.
En effet, suivant les principes précédemment énoncés, une démission comporte à la fois un caractère subjectif (une intention claire de démissionner) et un caractère objectif (les gestes concrets posés par l’employeur et le salarié qui confirmerait qu’il y a eu rupture du lien d’emploi).
Nous recommandons donc aux employeurs de rapidement déterminer s’ils sont en présence d’une démission et, si c’est bel et bien le cas, d’agir de manière à ne laisser aucune ambiguïté quant à la rupture du lien d’emploi. De plus, en milieu syndiqué, certaines dispositions de conventions collectives peuvent avoir un impact sur la présence ou non d’une démission.
Dans tous les cas, n’oubliez pas : l’ambiguïté s’interprète en faveur du salarié.
12014 QCTA 663.
2Ibid. au para 149.