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Criminel et pénal

Les infractions en matière de stationnement, responsabilité stricte ou absolue?

Depuis plus de deux décennies, les tribunaux québécois considèrent les infractions en matière de stationnement comme des infractions de responsabilité absolue.

Compte tenu de cette classification, les accusés se retrouvent dans l’impossibilité de faire valoir une défense de diligence raisonnable ou d’erreur de fait raisonnable à l’encontre de telles infractions.

Le 16 février dernier, le juge Guy Cournoyer de la Cour Supérieure du Québec a rendu un jugement en appel d’une décision d’un juge d’instance qui condamnait l’appelante pour une infraction en matière de stationnement. Dans sa décision, le juge Cournoyer annule la condamnation et ordonne la tenue d’un nouveau procès. Quels enseignements doit-on en tirer?

Sommairement résumés, les faits sont les suivants : le 8 avril 2015, Mme Louise Sauvé a été trouvée coupable d’avoir garé son véhicule dans un endroit réglementé par parcomètre et qui est expiré, conformément aux articles 40, 41 et 103 du Règlement concernant la circulation et le stationnement (ci-après le « Règlement ») de la Ville de St-Jérôme. 

Lors du procès, Mme Sauvé fait valoir qu’elle avait déposé son argent dans le mauvais parcomètre dû à une confusion qu’elle explique au juge d’instance. Au soutien de ses prétentions, Mme Sauvé dépose des photographies qui montrent l’endroit où elle s’est stationnée. Elle identifie le parcomètre dans lequel elle avait déposé son argent. Lorsqu’elle est revenue à son véhicule, l’appelante a constaté qu’elle avait reçu une contravention, et qu’il restait huit (8) minutes dans le parcomètre où elle avait déposé son argent. Tous s’entendent pour dire que Mme Sauvé s’est trompée de parcomètre. Malgré les explications de Mme Sauvé, le juge d’instance la déclare coupable. 

Dans son jugement en appel, le juge Cournoyer mentionne ce qui suit : 

« Dans son jugement rendu oralement, le juge d’instance constate l’erreur commise par l’appelante, mais il la trouve néanmoins coupable.  Même s’il ne s’en explique pas, il y a tout lieu de croire que le juge d’instance a rejeté l’erreur de fait commise par l’appelante, car il considère qu’il s’agit d’une infraction de responsabilité absolue selon une jurisprudence constante ». 

À la suite de cette conclusion du juge d’instance, le juge Cournoyer décide de trancher la question à savoir si la disposition en cause, soit l’article 103 du Règlementde la Ville de St-Jérôme, est de responsabilité stricte ou de responsabilité absolue.

L’article 103 du Règlement de la Ville de St Jérôme est rédigé comme suit : « Quiconque contrevient aux articles 25, 25.1, 25.2, 25.3, 26, 28, 29, 31, 32, 33, 34, 36, 40, 41, 42, 43, 46, 50, 51, 52, 55, 62, 63, 64, 67, 68, 68.1, 69, 70, 71, 72, 72.1, 73, 75, 83, 85, ou 90 du présent règlement commet une infraction et est passible d’une amende de 30 $ à 75 $. 

La classification des infractions est une question d’interprétation législative, et l’arrêt de principe en la matière est la décision de la Cour Suprême R. c. Sault-Ste-Marie1. Dans cette décision, la Cour Suprême identifie trois (3) catégories d’infractions pénales : les infractions de mens rea, les infractions de responsabilité stricte et les infractions de responsabilité absolue. 

Voici comment le juge Dickson décrit les trois (3) catégories d’infractions : 

« Les infractions criminelles dans le vrai sens du mot tombent dans la première catégorie. Les infractions contre le bien-être public appartiennent généralement à la deuxième catégorie. Elles ne sont pas assujetties à la présomption de mens rea proprement dite. Une infraction de ce genre tombera dans la première catégorie dans le seul cas où l’on trouve des termes tels que « volontairement », « avec l’intention de », « sciemment » ou « intentionnellement » dans la disposition créant l’infraction. En revanche, le principe selon lequel une peine ne doit pas être infligée à ceux qui n’ont commis aucune faute est applicable. Les infractions de responsabilité absolue seront celles pour lesquelles le législateur indique clairement que la culpabilité suit la simple preuve de l’accomplissement de l’acte prohibé. L’économie générale de la règlementation adoptée par le législateur, l’objet de la législation, la gravité de la peine et la précision des termes utilisés sont essentiels pour déterminer si l’infraction tombe dans la troisième catégorie.2 » 

Les infractions de la première catégorie, dites de mens rea, à laquelle appartiennent les infractions contenues au Code criminel, sont celles qui nécessitent la preuve d’une intention, de la part de l’accusé, de commettre l’acte qui est prohibé. Les infractions de responsabilité stricte ne nécessitent pas la preuve d’une intention de la part de l’accusé de commettre l’infraction, et ce dernier dispose de moyens de défense, notamment la diligence raisonnable et l’erreur de fait raisonnable. Quant aux infractions de la troisième catégorie dites de responsabilité absolue, la seule commission par l’accusé de l’acte prohibé emporte sa condamnation. Le seul moyen de défense disponible pour l’accusé est une défense de nécessité, à savoir qu’il existe un danger imminent et qu’il n’a d’autre choix pour éviter le danger imminent que de commettre l’infraction qu’on lui reproche. 

Or, dans sa décision du 16 février 2016, le juge Cournoyer, après avoir répertorié plusieurs décisions, et à la lumière des enseignements plus récents de la Cour Suprême, convient de réévaluer la classification des infractions en matière de stationnement. 

Citant l’arrêt Immeubles Jacques Robitaille inc. c. Québec (Ville)3 le juge Cournoyer écrit : 

« Finalement, la même question est analysée par le juge Wagner dans l’arrêt Immeubles Jacques Robitaille inc. c. Québec (Ville). Dans cette affaire, il s’agissait d’une infraction à un règlement municipal de zonage. 

L’article 359 du Règlement prévoyait ce qui suit : 

359. [Infractions]

Quiconque contrevient aux dispositions du présent règlement commet une infraction et est passible, sur déclaration de culpabilité : 

Lorsque le contrevenant est une personne morale, les sanctions à appliquer sont les suivantes : 

1. pour la première infraction, une amende minimale de 200$ et les frais …

Le juge Wagner formule les commentaires suivants :

[35] Il importe de rappeler que nous sommes en présence d’une infraction de responsabilité stricte (Hétu et Duplessis, par. 8.220). Le libellé de l’art. 359 du Règlement n’indique nullement l’intention du législateur de créer une infraction de responsabilité absolue ou une infraction requérant la preuve de la mens rea. En conséquence, le justiciable est admis à présenter une défense de diligence raisonnable et à tenter de démontrer qu’il a pris toutes les précautions possibles et raisonnables pour éviter de commettre l’infraction. Toutefois, il n’existe aucune preuve à cet effet en l’espèce. 

On notera que la terminologie utilisée dans l’article 359 est « Quiconque contrevient ». 

Le juge Cournoyer conclut en mentionnant :

Dans l’arrêt Immeubles Jacques Robitaille inc., le juge Wagner considère que l’expression « Quiconque contrevient » n’exclut pas la responsabilité stricte.

On retrouve la même expression à l’article 103 du Règlement de la Ville de St-Jérôme. 

Il n’y a aucune raison d’en arriver à une conclusion différente. Le Tribunal est lié par l’arrêt Immeubles Jacques Robitaille inc.

L’infraction prévue à l’article 103 du Règlement, qui réfère aux articles 40 et 41, est une infraction de responsabilité stricte. 

En l’absence d’une indication claire, les infractions relatives au stationnement sont des infractions de responsabilité stricte qui permettent les défenses suivantes : 1) la diligence raisonnable et 2) la croyance raisonnable à un état de fait inexistant qui, s’il avait existé, aurait rendu l’acte ou l’omission innocent. 

En conclusion, la décision du juge Cournoyer invite les autorités législatives à indiquer clairement dans le texte de loi s’il s’agit d’une infraction de responsabilité absolue, ce qui aura pour effet d’exclure les moyens de défense de diligence raisonnable et d’erreur de fait raisonnable. Ayant conclu que l’infraction reprochée à Mme Sauvé en était une de responsabilité stricte, le juge ordonne la tenue d’un nouveau procès afin que le juge d’instance puisse évaluer la crédibilité et la fiabilité du témoignage de Mme Sauvé, et ainsi évaluer les moyens de défense offerts lorsqu’une infraction est qualifiée de responsabilité stricte.

Fort à parier que la Ville de St-Jérôme portera cette cause en appel à la Cour d’appel du Québec. Est-ce que les municipalités québécoises iront jusqu’à réécrire leur règlementation, comme le suggère le juge Cournoyer dans sa décision, pour éviter toute ambigüité sur d’éventuelles infractions?

Pour toute question en matière de droit criminel ou pénal, n'hésitez pas à contacter David St-Georges, il pourra vous accompagner dans toutes les étapes du processus judiciaire. 

 1 [1978] 2 R.C.S. 1299.
 2  R. c. Ville de Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299, à la page 1326.  
 3 2014 CSC 34, [2014] 1 R.C.S. 784.

 

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