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Litige

La requête en autorisation dite nunc pro tunc au secours de l'appel irrégulière formé

Imaginez la situation suivante. L’Appelante inscrit son appel de plein droit au lieu de demander la permission d’en appeler comme elle aurait dû le faire, sans que l’Intimé ne constate ce manquement.

Afin de remédier à cette erreur, la Cour d’appel invite in limine litis (au début du litige) et proprio muto (de son propre chef) l’Appelante à lui soumettre une requête nunc pro tunc (maintenant pour alors) afin de remédier à son défaut d’avoir demandé la permission d’en appeler dans le délai.

C’est la situation dans laquelle les parties se sont retrouvées et qui a donné lieu à l’arrêt Construction Steco inc. c. Gestion Michel Bélanger inc.[1]. Dans ce dossier, la Cour d’appel retient que cette solution [la requête nunc pro tunc] est inspirée par un désir de faire prévaloir la préservation des droits du client qui s’est fié à son avocat, plutôt que sur une application rigide des règles de procédures au détriment de la justice et de l’équité. Selon la Cour d’appel, cette solution apparaît juste et conforme aux pouvoirs conférés à la Cour par l’art 46 C.p.c. et à la jurisprudence qui a suivi l’arrêt Shefford (municipalité du canton de) c. Provençal[2].

Dans Construction Steco inc., l’Appelante conteste une décision de la Cour supérieure qui considérait que les travaux qu’elle a effectués n’avaient apporté aucune plus-value à un immeuble et la juge a ordonné la radiation des hypothèques légales grevant l’immeuble, modifiant du même coup de façon substantielle l’état de collocation.

Nous nous sommes donc intéressés à la possibilité de recourir à la requête dite nunc pro tunc en recourant à l’article 46 plutôt que l’article 523 C.p.c. qui interdit l’appel, une fois que le délai de six mois du jugement frappé d’appel est expiré. Autrement dit, l’interprétation large et libérale de l’article 46 C.p.c. a-t-elle une portée plus large que l’article 523 C.p.c.?

Selon un auteur[3], l’article 46 C.p.c. doit être interprété de façon large et libérale tout comme l’article 523 C.p.c. Est-ce dire que l’article 46 C.p.c. peut être utilisé à l’encontre des règles d’appel, lesquelles sont pourtant des règles strictes ? Après l’expiration du délai de six mois du jugement au sens de l’article 523 C.p.c., l’article 46 C.p.c. peut-il redonner une compétence perdue par l’écoulement du temps à la Cour d’appel du Québec ?

Nous concevons parfaitement que l’interprétation de l’article 46 C.p.c. s’effectue de façon large et libérale, mais une telle interprétation ne devrait pas pouvoir faire en sorte qu’un tribunal excède sa compétence statutaire.

L’interprétation de l’article 523 C.p.c.

La Cour suprême du Canada s’est prononcée à quelques reprises sur l’interprétation à faire de l’article 523 C.p.c. notamment dans les arrêts Cité de Pont Viau c. Gauthier Mfg. Ltd[4], St-Hilaire c. Bégin[5], Construction Gilles Paquette Ltée c. Entreprises Végo Ltée[6], et Communauté urbaine de Québec c. Services de santé du Québec[7].

L’honorable juge Pratte[8] met en relief les deux étapes distinctes de l’application de l’article 523 C.p.c. de la manière suivante :

« La première partie de cette disposition accorde à la Cour d’appel un vaste pouvoir discrétionnaire qu’elle doit exercer, selon le texte même de l’article, de façon « à sauvegarder les droits des parties ». Mais la discrétion de la Cour d’appel n’est pas illimitée lorsqu’il s’agit d’accorder la permission d’appeler après l’expiration des délais prévus à l’art. 494 C.p.c.; dans ce cas, le pouvoir discrétionnaire de la Cour d’appel est assujetti à l’existence de deux conditions préalables: la demande de permission d’appeler doit être faite dans les six mois du jugement et la partie doit en outre démontrer «qu’elle a été, en fait, dans l’impossibilité d’agir plus tôt. C’est seulement à l’égard d’une partie qui rencontre ces deux conditions préalables que la Cour d’appel peut accorder une permission spéciale d’appeler ;

[…]

L’application de l’art. 523 C.p.c. comporte donc deux étapes distinctes.

Dans un premier temps, la Cour d’appel doit déterminer si le requérant remplit les deux conditions préalables déjà mentionnées; cette décision de la Cour d’appel ne relève pas de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire; elle exerce plutôt son rôle traditionnel qui est d’interpréter la loi et de l’appliquer à des faits prouvés. Cette Cour interviendra donc si elle est d’avis que la Cour d’appel a mal interprété ou appliqué la loi.»

Bref, l’arrêt Cité de Pont-Viau c. Gauthier Mfg. Ltd précise que la Cour d’appel du Québec ne possède aucune discrétion ni latitude lors de l’analyse de la première étape, alors qu’elle vérifie si la demande de permission d’appeler a été déposée dans les six mois du jugement contesté.

La Cour d’appel du Québec a rendu également de nombreux jugements qui portent sur l’interprétation et l’application de l’article 523 C.p.c.

Dans l’arrêt Béland c. Scott[9], l’honorable juge Nichols indique clairement que la Cour d’appel perd compétence une fois l’expiration du délai de six mois suivant l’application du deuxième alinéa de l’article 523 C.p.c. :

« Cette dernière permission ne saurait être autre que celle prévue au deuxième alinéa de l’article 523. L’une des deux conditions préalables à l’exercice de la discrétion prévue à ce deuxième alinéa est que la permission doit être demandée dans les six mois du jugement. L’expiration de ce délai emporte forclusion que le consentement des intimés ne saurait empêcher.

Les procureurs des intimés peuvent consentir à l’amendement, mais ils ne peuvent redonner à cette cour la juridiction qu’elle a perdue après l’expiration du délai de six mois du deuxième alinéa de l’article 523 C.p.c. »

Les auteurs Denis Ferland et Benoit Emery[10] sont également du même avis :

« À l’expiration du délai de six mois écoulé depuis la date du jugement, la Cour d’appel n’a plus compétence pour accorder une permission spéciale hors délai. »

L’expiration du délai de six mois est donc un fait extincteur de compétence pour la Cour d’appel

Dans l’arrêt P. (J.) c. B. (L.)[11], la Cour d’appel du Québec a même qualifié le délai de six mois prévu à l’article 523 C.p.c. comme étant un délai de prescription :

« 22 Comme il s’était écoulé plus de six mois, le juge de première instance a accueilli le moyen d’irrecevabilité invoqué par l’intimée.

23 Il a eu raison.

24 Contrairement au délai de 15 jours de l’article 484 C.p.c. qui, à certaines conditions, n’est pas fatal, le délai de six mois du même article et celui de l’article 523 C.p.c. sont des délais de prescription. »

La jurisprudence actuelle concernant la requête nunc pro tunc semble suivre les enseignements de l’honorable juge André Rochon dans Shefford (municipalité du Canton de) c. Provençal[12] qui précise que la Cour suprême du Canada recourt régulièrement à l’autorisation « nunc pro tunc ».

Nous sommes tout à fait d’accord avec l’affirmation selon laquelle la Cour suprême du Canada recourt régulièrement à l’autorisation « nunc pro tunc », et pour cause : la Loi sur la Cour suprême accorde expressément cette faculté à la Cour de proroger un délai d’appel[13].

Avec respect pour l’opinion contraire, cette faculté d’en appeler hors délai une fois écoulé, le délai de six mois ne peut être accordé par la Cour d’appel du Québec sous l’article 523 C.p.c. ou sous l’article 46 C.p.c., puisque la Cour a perdu compétence. Un appel irrégulièrement formé n’est pas un appel et il n’a donc pas pour effet d’interrompre le délai de six mois suivant la décision de première instance.

Bien que l’arrêt Shefford (municipalité du Canton de) c. Provençal, semblait plutôt isolé, nous constatons que depuis 2007, la Cour d’appel du Québec a eu recours à la permission « nunc pro tunc » à quelques reprises[14]. Est-ce une nouvelle tendance qui sera maintenant de plus en plus suivie ?

Nous comprenons qu’exceptionnellement la Cour d’appel du Québec souhaite recourir à la permission « nunc pro tunc » pour rendre un jugement sur la base de la justice et de l’équité. Toutefois, nos tribunaux ne peuvent rendre un jugement basé uniquement sur l’équité. La maxime Dura Lex Sed Lex (La loi est dure, mais c’est la loi) doit s’appliquer avec toute sa rigueur, même lorsque le tribunal éprouve de la sympathie pour l’une des parties.

 

[1] 2013 QCCA 217.

[2] JE 2001-1718 (C.A.).

[3] Donald Béchard, « L’article 46 C.p.c. depuis l’entrée en vigueur de la réforme du Code de procédure civile de 2003 », dans La réforme du Code de procédure civile, trois ans plus tard (2006), Service de la formation continue du Barreau du Québec, 2006, EYB2006DEV1145.

[4] [1978] 2 R.C.S. 516.

[5] [1981] 2 R.C.S. 79.

[6] [1997] 2 R.C.S. 299.

[7] [1992] 1 R.C.S. 426.

[8] [1978] 2 R.C.S. 516.

[9] [1983] R.D.J. 456.

[10] Denis Ferland et Benoit Emery, Précis de procédure civile du Québec, 4e édition, Éditions Yvon Blais, 2003, page 54.

[11] REJB 2003-38892 (C.A.).

[12] REJB 2001-25636 (C.A.).

[13] Voir les articles 40 et 59 de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985), ch. S-26.

[14]Laferrière c. Commission de protection du territoire agricole, 2007 QCCA 174; Purjinie inc. c. Famic Technologue inc., 2009, QCCA 549; Arsène Charlebois Construction ltée c. Centre social Kogaluk, 2012 QCCA 1851 et Construction Steco inc. c. Gestion Michel Bélanger inc., 2012 QCCA 217.

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