Litige
La Loi 35: à la poursuite des entrepreneurs malhonnêtes
Le 8 décembre 2011, le gouvernement du Québec a en effet adopté à l’unanimité la Loi visant à prévenir, combattre et sanctionner certaines pratiques frauduleuses dans l’industrie de la construction et apportant d’autres modifications à la Loi sur le bâtiment (Loi 35).
Ces nouvelles mesures accordent plus de pouvoir à la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) et lui octroient plus de moyens pour punir les entrepreneurs reconnus coupables de fraudes fiscales ou d’un acte criminel. Ces mesures législatives permettent à la RBQ, entre autres, de resserrer les règles de délivrance et de maintien d’une licence d’entrepreneur. La Régie peut restreindre ou suspendre une licence d’entrepreneur d’une entreprise ou d’une personne même si elle n’a pas été reconnue coupable d’évasion fiscale ou d’un acte criminel, si elle juge qu’elle ne respecte pas « les exigences quant aux bonnes mœurs, quant à la compétence et quant à la probité d’un entrepreneur » [1].
La Loi 35 punit sévèrement les entrepreneurs reconnus coupables de fraude fiscale ou qui sont reconnus coupables d’actes criminels.
En effet, une entreprise reconnue coupable ou dont l’un de ses dirigeants possède un dossier criminel ne pourra ni soumissionner ni exécuter ou faire exécuter des contrats publics et sa licence sera restreinte pour une période pouvant aller jusqu’à cinq ans. Cette entreprise fautive pourra même voir sa licence suspendue à la suite d’une enquête menée par la RBQ.
La Loi 35 a un effet rétroactif et la période de restrictions commence à courir au moment où cette entreprise a été reconnue coupable de fraudes fiscales ou d’un acte criminel.
Au surplus, une entreprise reconnue coupable de fraudes fiscales et dont la licence est restreinte ne pourra pas récupérer une licence sans restriction même si elle procède à des modifications au sein de ses dirigeants ou de son actionnariat.
Dès son adoption, le gouvernement et certaines municipalités ont résilié plusieurs contrats qu’ils avaient conclus avec des entreprises titulaires de licences devenues restreintes.
Quelques semaines seulement après son adoption, la Loi 35 a cependant connu un premier revers.
En effet, le 26 janvier 2012, la Commission des relations du travail a ordonné à la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) et à la Corporation des maîtres électriciens du Québec de délivrer une licence d’entrepreneur à la compagnie Chagnon (1975) ltée, sans restriction, jusqu’à ce qu’une décision sur le fond intervienne sur son recours. Depuis le 14 décembre 2011, la licence d’entrepreneur de cette entreprise était restreinte puisque celle-ci avait plaidé coupable, en 2010, à une infraction de fraude fiscale. Par cette restriction, Chagnon ne pouvait ni soumissionner, ni exécuter, ni faire exécuter des contrats publics.
Chagnon a donc déposé un recours devant la Commission des relations du travail afin de contester la Loi 35 puisqu’elle juge, notamment, discriminatoire son effet rétroactif. Dans sa décision, la Commission des relations du travail est d’avis que « d’ici à ce qu’une décision sur le fond intervienne, le débat risque d’être uniquement académique et Chagnon risque de subir un préjudice qui n’est pas seulement sérieux, mais totalement irréparable »[2].
Rappelons que concernant l’infraction reprochée à Chagnon, la RBQ et la Corporation des maîtres électriciens du Québec avaient rendu deux décisions avant l’adoption de la Loi 35, soit les 5 mai 2011 et 30 septembre 2011, maintenant la licence d’entrepreneur de Chagnon. Ces décisions étaient motivées notamment par le fait que la faute commise par l’entreprise n’était pas restée impunie, que l’entreprise avait payé les amendes et que le responsable de l’infraction avait été écarté de l’entreprise.
Malgré cette décision provisoire rendue par la Commission des relations de travail, la RBQ poursuit agressivement sa mission et utilise tous les pouvoirs qui lui ont été attribués en vertu de la Loi 35 pour combattre et punir sévèrement les entrepreneurs malhonnêtes.
[1] Notes explicatives de la Loi visant à prévenir, combattre et sanctionner certaines pratiques frauduleuses dans l’industrie de la construction et apportant d’autres modifications à la Loi sur le bâtiment (Loi 35).
[2]Chagnon (1975) ltée c. Régie du bâtiment du Québec et Corporation des maîtres électriciens du Québec (CMEQ) 2012 QCCRT 0038, par. 60;