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Famille, personnes et successions

Commentaire sur la décision Lynch et Lamoureux – Lorsque le passé prédit l'avenir

  • Sandrine Dagenais
Par Sandrine Dagenais Avocate
L'auteure commente cette décision dans laquelle la Cour supérieure s'évertue de réaliser l'épineuse analyse de la capacité d'une personne au moment de la modification de son dernier testament connu, alors que les intérêts des différentes parties s'entrechoquent. Pour ce faire, l'auteure décortique la méthode analytique choisie par l'honorable juge Sébastien Pierre-Roy,j.c.s. à la lumière du contexte particulier des faits.

Ce texte a été initialement publié dans La référence, sous la citation EYB2025REP3841

INTRODUCTION

Nous tâcherons, aux fins de ce commentaire sur le jugement Lynch et Lamoureux 1 rendu par l'honorable Sébastien Pierre-Roy, j.c.s., le 9 janvier 2025, dans le cadre de la succession de feu Julien Grandbois, de nous pencher sur les paramètres utilisés par la Cour pour évaluer la capacité de tester de feu Grandbois, au moment de la confection de son dernier testament.

Un testateur, aux prises durant les dernières années de sa vie avec une condition, physique ou psychotique, se dégradant de façon telle qu'il en perd son autonomie, éventuellement sa vie, compile ses volontés dans un dernier testament, lequel modifie radicalement le précédent, à la surprise et à l'incompréhension des bénéficiaires précédents. Une seule explication est possible, pensent certainement les demandeurs, le testateur était inapte au moment de la confection de son dernier testament.

Pour répondre à cette prémisse, l'honorable juge Pierre-Roy, j.c.s., émet le constat suivant : « La capacité d'avoir une conversation cohérente sur certains sujets familiers ou de maintenir une routine quotidienne simple ne démontre pas nécessairement la capacité de comprendre la portée d'un testament ».

Cette analyse s'inscrit dans l'évolution jurisprudentielle de l'évaluation de la capacité de tester de la personne présumée apte. En effet, précédemment, la capacité d'une personne était évaluée globalement et dans l'évolution de sa maladie, le cas échéant. Un doute sérieux quant à la capacité semblait suffisant pour renverser la présomption d'aptitude de la personne concernée, le fardeau de démontrer l'aptitude momentanée reposant alors sur la personne désirant confirmer le testament.

Or, pour les fins de son analyse, l'honorable Pierre-Roy, j.c.s., s'éloigne de la simple expertise médicale pour se livrer à une étude approfondie de la vie du défunt. Cette étude, le constaterons-nous, permet à la Cour de jauger de ce qui constitue des actes dits normaux pour le défunt, en contrepartie d'actes qui pourraient faire preuve de son état d'inaptitude ou de l'effet de la captation exercée sur lui.

Nous nous évertuerons dans les prochaines lignes à décortiquer la méthode utilisée par l'honorable juge Pierre-Roy, j.c.s.,afin d'assurer le respect des dernières volontés d'une personne qui ne témoigne pas à l'instance, et d'émettre certaines mises en garde des risques que cette méthode comporte.

I– LE DEGRÉ DE COMPRÉHENSION DE LA PERSONNE CONCERNÉE

Le fait de raffiner la notion de compréhension à ce que certains attribuent à une période de lucidité donnée, ou à une volonté

réitérée et connue de tous, comporte un aspect pratique des plus complexes – comment, a posteriori et surtout suivant le décès, démontrer que le défunt, bien qu'inapte au sens général du terme, comprenait cependant la portée juridique de ses actes ?

Dans le présent cas, l'honorable juge Pierre-Roy a choisi d'évaluer en premier lieu la preuve testimoniale – précisément en décortiquant les relations entre les membres de la famille du testateur et ce dernier. Ce choix semble motivé par l'interprétation du juge établie au paragraphe 162 de son jugement : « [162] Malgré la sévérité du diagnostic et le pronostic sombre qu'il entraîne, ceci n'est pas suffisant pour permettre de conclure à l'incapacité de monsieur Grandbois. Des problèmes cognitifs ne sont pas nécessairement synonymes d'incapacité ».

Ainsi, le juge considère le diagnostic de la maladie d'Alzheimer du testateur tout en le mettant en relief avec une notion plus étoffée de la capacité. Ce choix analytique semble reposer sur les circonstances particulières du cas : le défunt, Julien Grandbois, avait fait deux testaments dans les dernières années de sa vie, soit un en 2013 nommant exclusivement le demandeur et son épouse comme légataires, et en 2015, reprenant les demandeurs à titre de légataires, tout en y ajoutant une quinzaine de bénéficiaires additionnels, diluant nécessairement le legs des demandeurs. Ces testaments sont survenus subséquemment au décès dévastateur de la conjointe, madame Madore, laquelle, de l'opinion de tous, était le pilier de sa vie.

Ainsi, en se basant longuement sur les relations interpersonnelles du défendeur, dans un contexte où se disputent avec verve et obstination plus d'une quinzaine de personnes, l'honorable juge Pierre-Roy, j.c.s., réalise une évaluation épineuse de la crédibilité de chacun, limité à une évaluation subjective de leur fiabilité, sans tomber dans le piège du biais personnel basé sur l'appréciabilité des personnages en cause.

Habilement, l'honorable juge Pierre-Roy épluche les témoignages des parties et semble les catégoriser selon les caractéristiques suivantes : a) le dessein recherché par le témoin ; b) les contradictions au sein même des témoignages, mais également au regard de la preuve documentaire ; c) la fréquence et force du lien personnel avec le défunt.

Ainsi, le niveau d'autonomie pour subvenir aux besoins de base durant la vie de monsieur Grandbois, ses habitudes relativement à ses prises de décisions financières, ses relations interpersonnelles, ont fait l'objet d'une étude temporelle permettant d'établir la normalité de l'irrégularité.
De même, le juge se réfère aux témoignages de tiers qui semblent être qualifiés comme avoir un taux plus ou moins élevé de désintéressement dans la cause : le notaire instrumentant des testaments ; les évaluateurs de la SAAQ et de Technic ; son conseiller financier de longue date ; le dossier médical et les notes évolutives y étant conciliés.

Curieusement, bien qu'il en soit fait mention, les « amis » du défunt n'ont pas été sondés à l'instance, bien que l'on puisse imaginer que leur connaissance quotidienne du défunt et leur taux de désintéressement puissent avoir été élevés.

a. Le dessein recherché par les témoins

Le fardeau de preuve tombant entre les mains des demandeurs, ces derniers doivent renverser la présomption de capacité du testateur. Dans le présent cas, la famille Lynch s'est vue considérablement désavantagée suivant la confection du dernier testament en 2015, perdant le monopole du patrimoine successoral du défunt.

D'emblée, les demandeurs sont dépeints comme ayant tendance à l'exagération afin de désespérément démontrer l'incapacité du défunt en 2015. Cette exagération est dénotée par l'honorable juge lors des témoignages des Lynch relativement à l'état de monsieur Grandbois suivant le décès de sa défunte conjointe en 2013, soit la mère du demandeur. En effet, l'honorable juge Pierre-Roy émet que ces témoignages ne sont pas crédibles, étant contredits par le notaire instrumentant des derniers testaments de 2013 et 2015, MeLamoureux.

Me Lamoureux confirme que le testateur comprenait ce qu'il faisait, était lucide et propre au moment des visites. Au contraire, Me Lamoureux émet qu'il était quelque peu inquiet lorsque M. Lynch s'est présenté avec le testateur, projet de testament à la main, suivant une modification intentée par le testateur en 2014. Plus encore, Me Lamoureux soutient que le défunt était insatisfait de son testament de 2013, ce qui est corroboré par ses diverses visites.

Subtilement, le juge soupèse la qualité de ces témoignages basée sur le dessein de chacun des témoins. D'une part, le demandeur, lequel détient un intérêt de nature pécuniaire au dossier, et d'autre part, le notaire instrumentant, lequel a été à même de constater l'état général du testateur plusieurs fois entre 2013 et 2015, et dont la validité d'un de ses actes est mise en cause.
L'ensemble des faits et la tendance à grossir les faits du demandeur le décrédibilisent aux yeux de la magistrature qui se penche du côté de Me Lamoureux : « En l'espèce, Me Lamoureux est le seul témoin contemporain et désintéressé de l'état mental de M. Grandbois en mars 2015 » (par. 181).

b. Les contradictions au sein des témoignages au regard de la preuve 

Le tribunal dépeint longuement les inadéquations et contradictions des témoignages, nommant notamment que certains témoins étaient confus, frôlant l'inaptitude. Malgré ces constatations pour le moins inquiétantes quant à la qualité de la preuve, le tribunal parvient à élaborer un étoffé récit des premières années de vie du défunt jusqu'au décès de feue Madore,en 2013.

Quant aux années 2013-2016, le tribunal émet plusieurs critiques à l'endroit des Lynch, particulièrement monsieur Lynch. Effectivement, il semble y avoir un « bris de confiance » du tribunal à l'endroit de monsieur Lynch et de la viabilité de son témoignage soutenu par les commentaires du notaire Me Lamoureux – particulièrement son inquiétude relativement à une certaine pression que monsieur Lynch aurait pu exercer sur monsieur Grandbois alors que celui-ci souhaitait remodifier son testament en 2014.

Plus encore, le tribunal dépeint le personnage de monsieur Lynch comme étant somme toute négligent :

[128] M. Lynch ajoute que les médecins lui recommandent de faire homologuer le mandat de protection qu'il détient.
Ce témoignage est explicitement contredit autant par les notes médicales contemporaines que par l'attitude subséquente de M. Lynch qui ne pose aucun geste en ce sens. Son témoignage à l'effet qu'il ne fait aucune démarche parce que M. Grandbois s'oppose à « être placé » et que Mme Descôteaux l'incite à ne pas homologuer le mandat ne peut être retenu25. Devant le portrait d'inaptitude que M. Lynch trace, il est manifeste qu'une réaction s'imposait.Pourtant, M. Lynch se borne à suggérer à M. Grandbois de considérer une résidence
pour aînés à Coaticook. Il ne fait aucune démarche pour que M. Grandbois soit évalué par un travailleur social ou ergothérapeute.
[...]

[282] Mme Descôteaux était nommée liquidatrice dans le testament du 9 mars 2015. Elle a cédé sa place à Marie-Dominique Perras et M. Lynch. Ce dernier a été destitué par décision judiciaire vu sa piètre collaboration au processus de liquidation.
(Nos soulignements ; nos caractères gras)

c. La logique des prétentions

Concluant son analyse de la capacité de tester du testateur au moment des faits, l'honorable juge Pierre-Roy se lance dans un exercice de la prépondérance des probabilités basé sur la logique des agissements de feu Grandbois, à la lumière des témoignages qu'il a choisi de retenir.

De cette façon, il conclut que la relation du testateur avec les Lynch s'était effritée, l'éloignant de cette famille qui avait été jadis celle de sa conjointe adorée. Plus les années passaient, plus madame Descôteaux prenait la place de proche aidante,oreille et présence attentive, à l'instar de feue Madore pour le défunt. Alors que la présence de madame Descôteaux était perçue comme bienveillante, quoique parfois maladroite, celle des Lynch était motivée par l'appât du gain.

II– LA CAPTATION COMME REMÈDE SUBSIDIAIRE

À défaut pour les demandeurs d'obtenir l'annulation d'un testament, il est fréquent, voire quasi, automatique que ceux-ci entreprennent de s'aventurer dans le hasardeux chemin de la captation. Plus subtile que l'incapacité, la captation ne nécessite pas le renversement de la présomption de la capacité de tester du testateur.

Or, elle nécessite une évaluation approfondie des faits, où les rancoeurs familiales s'en donnent à coeur joie. En effet, les critères visent essentiellement à déterminer l'influence indue sous laquelle le testateur, isolé de sa vie, de ses proches et de ses habitudes, se serait vu contrôlé par une personne s'immisçant indûment dans le patrimoine du défunt.

Les suppositions et accusations fusent, mais n'atteignent pas la Cour, qui – en raison de son étude approfondie de la personne de monsieur Julien Grandbois, son côté solitaire, méfiant, bourru, avare et incertain – est en mesure de distinguer
la captation de l'évolution du personnage.

De ce fait, après une évaluation exhaustive des 23 critères susceptibles d'être évalués par le tribunal, ce dernier rejette la prétention de captation exercée par la mise en cause Descôteaux sur le défunt.

CONCLUSION – LA BALANCE DES RISQUES RELIÉS À UNE ANALYSE SUBJECTIVE

Enfin, la décision Succession Julien Grandbois est le résultat d'un exercice minutieux, songé et patient de la Cour, lequel résulte en une décision de 49 pages appuyée et logique, laquelle a toutefois fait l'objet d'une demande de permission d'appel,le 13 février 2025.

Cela étant dit, le lecteur peut se questionner quant à l'élément nécessairement subjectif de l'évaluation de la Cour de la compréhension des actes juridiques posés par une personne qui ne témoigne pas à l'instance.

La présentabilité des témoins, leur statut social, leur scolarité et leur capacité de s'exprimer, de comprendre les critères applicables pour parvenir à leur dessein, peuvent s'avérer cruciaux dans l'évaluation de la validité d'un acte juridique fait dans une période où la capacité contractuelle et circonstancielle est incertaine.

Le travail acharné de l'honorable juge Pierre-Roy permet d'apaiser la crainte d'une subjectivité aléatoire, mais il est à craindre que certains biais sociaux ou une préparation inadéquate viennent amoindrir la force probante de témoignages de certains témoins clés, et minent la recherche de la vérité à laquelle est astreint le tribunal.

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